Il tient par la bride un énorme tigre, équipé de tout un attirail permettant de le monter. L'homme est grand, et marche d'un pas mesuré. Sa longue chevelure poivre et sel est séparée en deux nattes. Il porte moustache et bouc, ce qui fait ressortir ses yeux bleus. Impossible d'y lire quoi que se soit. De même pour savoir son âge. Il porte des bottes de marche qui ont vu des jours meilleurs, mais le reste de ses atours est de bonne facture et en parfait état. Sur sa robe, une large ceinture incrustée de gemmes et où sont accrochés deux sacs. La veste est à l'identique de la robe. Sur elle aussi brillent des pierres précieuses. Des protèges-épaules remontent le long de ses joues, un casque est accroché dans son dos. A la main gauche il tient un bâton, qui n'a rien d'un bâton de marche. Malgré ces richesses exposées à la vue de tous, cet homme ne risque rien. Personne n'ira le détrousser, sauf un fou, il est cependant accosté de temps en temps par l'un de ces mendiants qui pullulent sur le royaume à quémander une pièce d'or. Cet homme solitaire est un mage, et personne n'apostrophe un mage sans une bonne raison. Et aujourd'hui plus qu'un autre, il faut le laisser tranquille, alors qu'il est plongé dans ses pensées.

Il y a bien longtemps que je n'ai posé mes bottes sur ce chemin. Les années sont passées avec leurs lots de joies; de peine, de batailles, de victoires et de défaites face au Fléau, mais ici rien n'a changé. Les odeurs sont les mêmes que dans mon souvenir. Les arbres sont toujours aussi magistraux et les rayons du soleil passant à travers leurs feuillages illuminent ce chemin centenaire.

Quelle ironie, que ce soit une fête, de début de saison qui me fasse faire ce retour en arrière dans ma vie. La fête des Nobles !! Je crois bien qu'il n'y a qu'eux pour ne pas y participer. Et dire que c'est une fête de fin de saison qui m'avait éloigné d'ici. Je ne pensais pas refaire ce chemin un jour. Trop d'évènements, de sentiments se cachent derrière chaque tronc d'arbre, chaque butte de terrain. Ma gorge se serre peu à peu et pourtant je ne suis pas encore à destination. Pour ne pas aller trop vite, j'ai préféré marcher. Éclat de Givre, mon tigre apprivoisé qui me sert de monture, semble apprécier l'intention. Lui aussi hume avec délice ces odeurs de fleurs, d'herbes, de foins coupés et de .....tarte !!! La petite maison aux chats est toujours là !! Et sur le rebord de la fenêtre une tarte aux baies a été mise à refroidir. Quarante et un an et rien n'a changé !! J'attache mon compagnon par la bride à la petite barrière et me dirige d'un pas chancelant vers la porte de la demeure. J'hésite à frapper, je reste le bras droit levé quand soudain la porte s'ouvre à la volée !

Une jeune fille d'une vingtaine d'années, grande, élancée avec de long cheveux noirs retenus en une queue de cheval se trouve devant moi. Son profil est délicat, l'œil en amande très tiré vers le haut, l'oreille un peu sur dimensionnée et le nez aquilin. Par la Lumière cette fille à du sang elfe dans les veines !. Tournant la tête vers moi, elle a un geste de recul et s'écrie :

  • aaahhh !! vous m'avez fait peur !

  • Désolé Mademoiselle ce n'étais pas mon intention.

  • Je m'en doute, mais j'étais tellement absorbée dans la conversation avec ma grand-mère que je n'ai pas regardé devant moi.

  • Votre grand-mère ??

  • Oui ...........c'est bien elle que vous venez voir ?

  • Par la Lumière !! Par la masse d'Huter, cette voix ! Je ne l'ai pas oubliée !! mais comment est ce possible ?? Mes oreilles me joueraient elles des tours ?

La voix n'est plus très assurée mais le ton est clair. Moi aussi j'aurais reconnu cette voix entre mille : Anette Milpomme, la plus fameuse pâtissière de la foret d'Elwynn. Sa silhouette se dessine dans l'encadrement de la porte. Pas plus petite qu'avant mais terriblement voûtée, ses cheveux ramenés sur le haut de son crane en un coquet chignon, la figure ridée à la façon d'une pomme, les yeux verts pétillant encore de malice, elle m'adresse un sourire qui me récompense déjà du chemin parcouru.

  • Burick !! Burick la tête de mule !! que les Murlocs me bouffent toute crue !! INCROYABLE !! je te croyais mort, au mieux à cause d’une de tes satanées boules de feu au pire dans une de ces fichues batailles qui résonnent dans notre Royaume. Mais que viens tu faire par ici après tout ce temps ? Entre entre mon petit je manque à tous mes devoirs.

  • Merci Dame Anette. Si je ne me trompe pas votre accueil est bien plus gentil que la dernière fois où l'on c'est vu !

  • Bien sur !! foutu chenapan ! Trois tartes d'un coup tu m'as volé !! trois !! Tu entends ca gamine, tu as devant toi le plus redoutable voleur de tartes de la Foret. Son premier sortilège lui permettait de se rendre invisible, donc cela lui facilitait la tache. Le petit Bubu chez moi ! Aujourd'hui ! Et si j'en crois tes habits mon gars tu as fais du chemin depuis tes sept ans. Tu continus à distribuer le fruit de tes larcins ?

  • Que non, je ne vole plus !! J'ai appris à invoquer la nourriture pour les plus démunis.

  • Voilà qui est bien mieux ! Assieds toi, Dryana va nous préparer une infusion de fleur de vigne, et toi tu vas pouvoir me raconter un peu de ton histoire.

  • Tout d'abord dites moi ce qu'il y a eu de changé ici ? Qui est cette jeune fille ? Avez vous été touché par la guerre ? Y a t il toujours l auberge et la forge à la croisée des chemins ?

  • Doucement mon petit, doucement. Je ne vais malheureusement pas avoir grand chose de réjouissant à te raconter. Il y a si longtemps, si longtemps que tu es parti et pourtant je ne te sens pas prêt à me livrer ton histoire. Alors écoute la mienne, celle de ton village et de tes amis.

En m’asseyant, je jette un œil autour de moi. La maison est propre et bien tenue, tout respire la présence féminine. Il y a longtemps qu'un homme n'a pas séjourné ici. Prés de la cheminée, les paniers à chats sont toujours présents. Les matous se prélassent devant le feu, indifférents aux préoccupations des humains à leurs cotés. L'odeur de cire et d'encaustique emplit l'atmosphère et, bizarrement, semble me calmer. Je soupçonne une préparation spéciale commandée pour soulager les douleurs des vieilles articulations d'Anette.

Nous étions assis chacun à notre manière dans un large fauteuil très confortable. Anette calée avec divers coussins lui faisant une couverture bariolée, moi, assis très droit, ayant juste le bout des fesses sur le siège et mon bâton en travers des genoux. Dryana, qui avait servi l'infusion dans trois bols en bois d'olivier patinés par l'usage, avait pris place sur son siège d'une façon caractéristique d'une peuplade elfe, que j'avais côtoyé quelque temps. Les jambes repliées sous le corps, ce dernier légèrement penché sur la droite et la tête presque couchée sur l'épaule gauche. Que faisait ici une Elfe originaire d'Auberdine ? Et comment Anette pourrait elle être sa grand-mère ? A moins que …

- Depuis ton départ mon petit Bubu, bien des choses ce sont passées. La guerre a fait des ravages ici aussi, même si l'on ne voit rien dans le paysage. Toi qui dois avoir l'habitude regarde le cœur des gens. Pas un seul qui ne saigne en permanence, pas un vide de haine contre le Fléau, pas un qui ne soit lourd de douleur. La majeure partie des gens que tu as connus n’est plus. Quand les trompettes de rassemblement ont sonné presque toute la population s'est rendue à Stormwind. Heureusement les sergents recruteurs ont renvoyé suffisamment de monde pour permettre les cultures afin d’éviter la famine. Seul les jeunes gens et une majorité de femmes ont regagné leurs habitations. Le choix a été judicieux !! les jeunes hommes ont travaillé dur et deux fois plus que leurs pères, pour que ceux ci soient fier à leur retour. Il y avait presque autant d'hommes que de femmes. Les couples ne tardèrent pas à se former, et les femmes plus vieilles s'occupèrent des enfants quand ceux ci pointèrent le bout de leur nez. Mais le temps a passé et personne n'est revenu. Il se dit que certains auraient suivit le Roi au delà du monde connu. Mais la majeure partie de la population a surement été décimée. Avant que tu ne me poses la question, oui tes parents ont été dans les premiers à partir. Ils ont confiés ta sœur Laurencia à ta tante au camp des bucherons. Leur demeure est maintenant occupée par leurs apprentis, qui sont devenus maitres désormais. De tes camarades ne restent qu'Argus, forgeron comme l'était son père, et Farley qui a repris l'auberge de ses parents. Pour ce qui est de Dryana, c’est vraiment ma petite fille. Mon unique enfant, Albérédor, travaillait pour la tannerie de Stormwind. Sa spécialité était la réparation des armures en cuir. C'est comme cela qu'elle a fait connaissance de Rhynos Lunepleine, un druide originaire de Kalimdor. Ils se sont plut de suite et elle a su vaincre la barrière morale séparant nos deux peuples. Quand Rhynos repartit dans le sillage d'un noble Elfe, il ne savait pas qu'il laissait derrière lui une partie de lui même. Albérédor ne s'en aperçut que deux mois plus tard. Malheureusement, l accouchement se passa mal et la prêtresse qui d'habitude est toujours dans les parages avait été appelée par sa Guilde pour soigner un flot de blessés arrivé par bateau dans la cité. Ma fille rejoignit ses ancêtres après m'avoir laissé le fruit de l'union de deux races que rien ne prédestinait à s'unir. Depuis j'élève cette enfant en tentant de lui inculquer les valeurs auxquelles je crois. Voilà, voleur de tartes, ce qui c'est passé dans ton village depuis ton départ. Tu restes pour passer la nuit avec nous ? Il y a largement de quoi loger un voyageur.

- Je vous remercie Dame Anette mais je vais me rendre à l'auberge. Je vais rester quelques jours, je repasserais bien par ici à moins que l'on ait rapidement besoin de moi.

      - Comme tu veux Burick tu es ici chez les tiens.

  • Avant de partir, j'aimerais vous poser deux questions.

  • Je t'écoute !

  • Comment faites vous l'hiver pour le bois ? Vous n'êtes que deux femmes, et sans vouloir être désobligeant à votre égard, vous ne pouvez ramasser que des brindilles.

  • Et moi je ne compte pas ?

Le regard de la jeune fille est encore plus dur que le ton sur lequel elle m'a apostrophé. Il est vrai qu'il n’est pas facile avec les Elfes de savoir s'ils sont plus musclé que les humains, mais là, je la vois mal maniant la hache et débitant un arbre.

  • Loin de moi cette idée mais cela représente une grande charge de travail

  • En automne deux ou trois jeunes garçons viennent nous aider à rentrer le bois. Et nous économisons au maximum, pas la peine de chauffer toute la maison. Ta deuxième question ?

  • Vous aimez les strudels ?

  • Oh que oui !!! mais tu sais qu'ils sont réservés à une catégorie de personne. J'ai déjà eu l'occasion d'en manger mais très rarement.

  • Dryana peux tu essayer de répéter deux mots, dans une langue étrangère ?

  • Mais grand mère !! il me prend pour une attardée mentale !

  • Je ne pense pas mon petit. Écoute le et fais de ton mieux.