- Même celle qui est morte cette nuit ? demanda la prêtresse.

- Oui, nous avons brûlé son corps au petit matin. Bref, il n’a pas bougé depuis qu’il est levé. Regarde, il est là.

En effet, debout, seul face aux derniers restes du buché qui achevaient de se consumer, se trouvait l’elfe qu’Asnath avait sauvé. Se dégageant de l’appui de la mage, elle se dirigea lentement vers le soldat aux cheveux clairs. Celui-ci ne se retourna même pas lorsqu’elle vint se placer à ses côtés. Ils restèrent un instant ainsi, debout côte à côte, sans rien dire.

Au milieu du foyer on pouvait deviner la forme incandescente de la femme soldat qui avait succombé pendant la nuit. Les flammes étaient encore très puissantes malgré le peu de combustible restant, la prêtresse se doutait que ses amies magiciennes avaient utilisé leurs pouvoirs pour les renforcer.

Face au silence du blessé, Asnath prit la parole.

- Je suis désolée… pour vos compagnons.

L’elfe ne répondit rien, les yeux toujours rivés sur les flammes qui dévoraient le corps de sa camarade. L’humaine savait que rien de ce qu’elle dirait ne pourrait atteindre le blessé. En temps normal, elle l’aurait laissé faire son deuil avant de lui parler mais elle n’avait pas le temps de le laisser faire son deuil, ils étaient toujours en danger. Cependant, avant qu’elle ne puisse poser une question, le soldat finit par parler.

- C’est vous qui m’avez sauvé ?

Asnath se contenta d’acquiescer. Elle n’en revenait pas que l’elfe accepte de lui parler, elle s’était attendue à ce qu’il persiste dans son mutisme.

- J’ai donc une dette envers vous.

- Je ne vous demande rien, répondit la prêtresse en se ressaisissant.

- Il n’empêche que je vous dois la vie. Je saurai m’en souvenir.

Un moment passa sans qu’aucun des deux ne bouge. L’humaine entendit les bruits de ses compagnons qui achevaient les préparatifs du départ, ils partiraient bientôt.

- Pourquoi n’avez-vous pas adressé la parole à mes amis ? demanda-t-elle.

- Je tenais à vous parler tout d’abord, pour vous remercier. De plus je préfère ne pas avoir à répondre à trop de questions.

- Vous souhaitez garder le secret à propos de la disparition de la Rune Solaire ?

Pour la première fois depuis le début de leur conversation, l’elfe se tourna vers la jeune humaine qui, elle, resta de marbre et continua à fixer le bûché.

- La démoniste de notre groupe est une des gardiennes des Reliques, expliqua Asnath sans bouger, le frère de la draeneï l’était aussi, il est mort. La disparition de la Rune implique donc que deux des objets que recherche le Roi Liche sont désormais en possession du Fléau.

Le soldat ne dit rien et continua à fixer la prêtresse qui se tourna finalement pour lui faire face.

- Comment vous appelez-vous ? demanda l’elfe.

- N’est-ce pas à vous de vous présenter en premier ? répliqua la jeune femme.

- Je me nomme Nathaël Brillesoleil, de Quel’Thalas, désormais seul survivant de l’Ordre Solaire.

- Mon nom est Asnath. J’avoue que c’est là une présentation moins impressionnante que la vôtre.

- Alors ajoutez par la suite que vous m’avez sauvé. Asnath… un nom que je ne connaissais pas, vient-il du Nord ou du Sud des royaumes humains ?

- Si un jour vous parvenez à le savoir dites-le moi, répondit la prêtresse, je cherche toujours la réponse à cette question. Mes compagnons et moi allons bientôt partir, si vous souhaitez nous suivre hâtez-vous de faire votre choix.

- Puis-je rester encore un instant ? Je souhaiterai dire adieu à celle que vous n’avez pu soigner à temps.

Asnath jeta un œil au bûcher qui achevait de se consumer puis regarda en direction du convoi. Noem’Aeda la surveillait de loin tandis que Zoorz et Ellécnite terminaient de préparer les chevaux.

- Occupait-elle une place importante dans votre ordre ? demanda la prêtresse.

- Elle était la troisième dans notre hiérarchie. Elle s’était battu lors de l’invasion du Fléau en Quel’Thalas et avait survécu à la destruction du Puits Solaire.

- Si vous le permettez, je souhaiterai savoir comment votre Ordre s’est retrouvé ici.

L’elfe ne bougea, il regardait toujours le monticule qui formaient les restes du brasier. La jeune femme allait renoncer à obtenir une réponse quand il reprit la parole.

- Nous revenions d’Orgrimmar. Le chef de Guerre souhaitait qu’y soit amenée la Relique pendant que se tenait une réunion dont le but était de décider de l’avenir de la Rune et de son utilisation potentielle. Le conseil n’étant pas parvenu à un accord, nous avons reçu l’ordre de retourner dans le sanctuaire où nous gardions la Rune. Notre itinéraire à partir de la Fossoyeuse n’était connu que d’un nombre restreint de personnes, cependant hier nous étions attendus.

- Quelqu’un vous a trahi ?

- C’est fort probable. Nous n’aurions jamais du nous fier aux Réprouvés, les traîtres fourmillent dans leurs rangs. Toujours est-il que lorsque nous nous sommes arrêtés, ceux qui nous attendaient ont fondu sur nous.

- Vous étiez un grand nombre de paladins entraînés, intervint l’humaine, comment cette bataille a-t-elle pu tourner au massacre ?

Le soldat ne répondit rien pendant un moment. Ses yeux perdus dans le vague revivaient la scène de la veille. Instinctivement, il porta sa main au niveau d’une de ses blessures les plus profondes.

- Ils étaient plus nombreux, nous nous battions à deux contre un, et il n’y avait pas que des morts-vivants.

Asnath se souvint de l’attaque du laboratoire d’Ellécnite. Cette fois-là non plus il n’y avait pas eu que des morts-vivants, il y avait un nécromancien.

- Parmi nos assaillants il y avait des créatures plus puissantes que les simples goules, ainsi que quatre nécromants et… sept chevaliers de la Mort.

- Comment un tel détachement a-t-il pu passer inaperçu ?

- Nous sommes dans les Maleterres, Asnath, répondit froidement l’elfe, nous sommes ici chez eux et…

- Asnath ! Si tu ne veux pas faire le chemin seule dépêche-toi !

Noem’Aeda venait de couper court à la conversation entre le soldat et la prêtresse. Celle-ci regarda rapidement où en étaient les flammes qui dévoraient le bûché, puis elle se tourna vers Nathaël.

- Prenez un peu de temps pour dire adieu à vos compagnons, déclara-t-elle, je vais faire patienter le convoi.

- Je vous remercie.

- Ne tardez pas trop si vous souhaitez vous joindre à nous. Nous courrons après le temps et nous ne pouvons nous permettre d’en perdre plus.

La prêtresse rejoignit ses camarades, laissant là le soldat endeuillé. Elle monta rapidement en selle et Noem’Aeda vint la retrouver.

- Il est sorti de son mutisme ? demanda-t-elle.

- Oui. Quel âge penses-tu qu’il puisse avoir, Ellécnite ?

La gnome examina l’elfe rapidement puis reporta son attention sur Asnath.

- Difficile à dire avec ceux de son peuple. Pourquoi me poses-tu la question ?

- Mis à part celles liées à l’attaque d’hier, il porte très peu de cicatrices. Pour un soldat c’est étrange. Il doit être jeune, mais pour les elfes je ne sais pas ce que cela représente.

- Et ? questionna la draeneï.

- Simple curiosité.

- Tu as vécu toute ta vie avec des elfes, tu devrais le savoir mieux qu’Ellécnite ! répliqua la mage.

- Pas du même peuple !

- Je comprends ce qu’Asnath veut dire, intervint la démoniste, cependant je suis incapable de t’estimer l’âge de ce soldat.

- Vient-il avec nous ? demanda la mage.

- Si oui, on l’laissera à l’Espoir d’la Lumière avant d’partir chercher vos amis suicidaires, répondit Zoorz en se rapprochant,

Asnath et Noem’Aeda échangèrent un regard lorsque le nain mentionna Tassanya et Omundron. La gnome avait donc décidé de lui parler des Reliques.

- Zoorz insiste pour nous accompagner si nous sommes amenées à aller les chercher jusqu’à Stratholme, expliqua Ellécnite.

- Nathaël aussi pourrait nous venir en aide, avança la prêtresse.

- Nathaël ?

- C’est le nom de l’elfe survivant, expliqua l’humaine, d’une certaine façon il est lui aussi un gardien. Peut-être jugera-t-il de son devoir de nous aider à protéger la Larme.

Le guerrier et la démoniste se concertèrent du regard, il était évident que ni l’un ni l’autre n’avaient une grande confiance envers les Elfes de Sang. Noem’Aeda toussota, le soldat blessé s’était approché d’eux pendant qu’ils parlaient.

- Je m’excuse d’avoir ainsi écouté votre conversation, déclara-t-il, mais comme l’a deviné votre amie humaine, je souhaiterais vous offrir mon aide, en tant que dernier soldat de l’Ordre Solaire.

Bien qu’entouré par les quatre membres du groupe, tous sur leurs montures, Nathaël ne semblait pas impressionné.

- T’es un paladin n’est-ce pas ? demanda Zoorz.

- Oui.

- Ça permettrai à la gamine d’être soutenue et d’pas trop s’épuiser à soigner tout l’monde tout l’temps, proposa le nain en regardant la démoniste.

Ellécnite prit le temps de réfléchir. Asnath comprenait que la décision qui revenait à la Gardienne de la Clef était ardue. Ils avaient le choix entre accepter l’aide de Nathaël, ce qui faisait un nouveau combattant parmi eux mais aussi un membre de la Horde qui pouvait à tout moment servir les intérêts de sa faction, ou se contenter de le laisser à la Chapelle de l’Espoir de la Lumière, se privant d’un bras armé mais préservant un groupe sûr. Finalement la gnome se redressa.

- Tu as des armes et un cheval ? demanda-t-elle.

- Le temps pour moi de retrouver nos montures là où nous les avions attachées.

- Quelle idée intéressante que de laisser ses armes loin de soi en territoire ennemi, railla Noem’Aeda, une pointe de sarcasme dans la voix.

- C’étaient là nos armes secondaires, répondit froidement le soldat en fixant la mage, nous avons était trahis, draeneï, si cela n’avait pas été le cas croyez-moi que votre amie n’aurait pas eu à intervenir. Nous aurions remportés cette bataille.

- Il n’empêche que sans Asnath, vous ne pourriez pas vous permettre de telles bravades, elfe. Et ne comptez pas sur moi pour vous fournir votre dose de magie quotidienne.

Les yeux verts et perles se toisèrent mutuellement. Asnath comprit tout de suite que les relations entre la mage et le paladin se limiteraient pour l’instant au strict minimum. L’humaine sourit en repensant à la veille où Noem’Aeda avait insisté pour qu’elle essaye de sauver les trois elfes survivants, désormais il lui faudrait veiller à ce que son amie ne se laisse pas emporter par les provocations de Nathaël.

- Il est temps de partir, déclara Ellécnite pour couper court à la discussion mouvementée, Nathaël, prends ce qui pourra nous être utile et rejoins-nous sur la route au plus vite. Noem’Aeda, Asnath, on y va !

Le convoi se remit en marche et rejoignit la route. Comme elle en avait prit l’habitude, Noem’Aeda déplia sa carte et observa le chemin que le parchemin magique préconisait.

- Zoorz ! Pourquoi la carte dit-elle de faire un détour pour éviter de la Croisée de Corin ? Cela ne semble être que des ruines.

- Parce que l’village est comme tous ceux d’la région, aux mains du Fléau.

- A ceci près que celui-ci se trouve sur la route, renchérit Ellécnite.

- Un autre détour, cela veut signifie encore des ennuis en perspective, maugréa la draeneï.

- Sois un peu optimiste, la rabroua gentiment Asnath, la plupart du temps c’est lorsque nous sommes sur les axes principaux que les problèmes nous tombent dessus.

- Et surtout gardez Asnath dans votre champ de vision, ajouta Noem’Aeda d’une voix forte, à chaque fois que je la perds de vue elle me ramène une créature bizarre. La première fois c’était un orc, maintenant c’est un drogué…

La mage fut coupée dans sa tirade lorsque la prêtresse donna une grande claque sur l’arrière-train de sa monture qui partit au galop, obligeant sa cavalière à s’agripper à son encolure.

- En réalité, la première créature étrange que j’ai trouvée était une drôle de chose bleue et râleuse avec des tentacules et qui ne sait pas tenir sa langue, cria la jeune humaine à l’intention de son amie.

La réflexion fit rire Zoorz et Ellécnite. Nathaël qui chevauchait à l’écart demeura silencieux, les yeux rivés sur le bord de la route.