La nuit était par la suite vite tombée et Ellécnite avait décidé de se coucher tôt, obligeant Asnath et Noem’Aeda à faire de même. Le convoi reprit sa route le lendemain à l’aube, allégé d’une partie de son chargement ce qui permettait aux quatre compagnons d’aller plus vite.

Quelques soldats du Camp du Noroît les accompagnèrent. Leur but était de les faire passer les ruines d’Andorhal en sécurité car la seule route pour rejoindre les Maleterres de l’Est nécessitait de couper à travers la ville. L’escouade était commandée par le caporal Faelris.

Chevauchant en tête avec Asnath et Zoorz, Noem’Aeda tapa sur l’épaule de la prêtresse.

- Je crois que notre ami le caporal n’est pas insensible à ton charme, murmura la mage en riant.

L’humaine jeta un œil derrière elle et eut tout juste le temps de voir le paladin tourner la tête en direction d’un de ses soldats. La jeune femme haussa les épaules.

- Dans quelques heures nos chemins se sépareront et il est probable que nous ne nous revoyons jamais.

- Qui sait ? répondit Noem’Aeda avec un regard qui en disait long, peut-être reverra-t-il sa décision de ne pas fonder de famille avant la fin de la guerre si tu lui demandes. Il faudra que j’essaie ta technique, la pauvre petite fille abandonnée et terrifiée semble fonctionner à merveille.

Rouge de gêne, la prêtresse talonna sa monture et partit rejoindre le bélier de Zoorz qui avait prit de l’avance sur les deux amies.

- Alors p’tite demoiselle, prête pour voir où est-ce que tout c’tintouin a commencé ? demanda le nain quand elle l’eut rejoint.

- Que veux-tu dire ?

- T’es pas vraiment une pointe en c’qui concerne l’histoire de c’monde, hein ?

- On peut formuler l’idée ainsi, convint Asnath en regardant devant elle.

- Andorhal, c’est l’premier endroit où s’est vraiment concentré l’problème d’la Peste mort-vivante. Kel’Thuzad, qu’était pas encore une liche à c’t’époque, a fait contaminer tous les greniers à blé d’la ville. Malin d’sa part puisqu’Andorhal fournissait toute la région en céréales. Devine qui a été envoyé pour s’occuper du problème.

- Arthas ?

- Tout juste. L’prince était accompagné par l’seigneur Uther, les paladins d’la Main d’Argent et par Jaina Portvaillant. C’est dans cette ville que Kel’Thuzad a été tué. La suite de l’histoire s’passe à Stratholme.

- Un peu comme nous leur groupe s’est retrouvé pris par le temps, expliqua Noem’Aeda en se joignant à la conversation, la plus grosse ville que fournissait Andorhal était Stratholme. Mais lorsqu’ils sont arrivés, les provisions avaient déjà été distribuées dans la ville qui se trouvait ainsi condamnée.

- Ils ‘sont alors retrouvés d’vant un très gros problème. Comment agir ? L’prince était du parti de nettoyer la ville, ses compagnons voulaient trouver un aut’ moyen.

- Arthas a refusé de céder, son plus grand souci étant de limiter la propagation plutôt que de sauver des vies. Il a fini par renvoyer ses amis qui s’opposaient à un bain de sang. La suite tu la connais, je te l’ai déjà racontée.

Asnath acquiesça. C’est alors qu’une partie des soldats qui les accompagnaient fut envoyée en éclaireur, ils venaient de pénétrer dans Andorhal. Le convoi stoppa le temps que les cavaliers reviennent, Trystar s’approcha ensuite de Zoorz.

- D’après mes hommes la route de l’est jusqu’à la sortie nord de la ville semble dégagée. Cependant restez sur vos gardes, il y a une liche qui rôde dans les environs et mieux vaudrait pour nous qu’elle ne nous repère pas.

Le guerrier hocha la tête en signe d’assentiment, prit son bouclier et sa hache puis fit avancer sa monture. Le convoi le suivit, une partie des soldats de l’Aube d’Argent en tête, le reste à l’arrière en compagnie d’Ellécnite.

L’odeur de putréfaction était encore plus forte et écœurante que dans le cimetière. La ville était emplie des croassements des corbeaux et des hurlements sinistres du vent s’engouffrant dans les ruines des maisons. De l’ancienne ville agricole ne subsistaient désormais que les quelques bâtiments qui avaient survécus aux ravages de la guerre et du temps. Des chariots gisaient ça et là, tels des carcasses, dévorés de moisissure. Tout en ce lieu témoignait des horreurs dont le Fléau faisait son quotidien. Même les pierres portaient des traces de sang séché depuis des années qu’aucune pluie n’avait cependant pu effacer.

Une poutre s’effondra alors que le convoi passait près d’une maison, le bruit effraya les chevaux qui se mirent à hennir bruyamment.

Tous se figèrent lorsque les cris stridents des montures affolés déchirèrent le silence. Les soldats sortirent leurs armes et se tinrent près à affronter toute créature qui viendrait identifier la cause de ce vacarme. Pendant ce temps Asnath et Noem’Aeda s’occupèrent de calmer les animaux qui parvenaient à sentir le danger ce qui aggravait leur panique.

Etrangement, rien ni personne ne vint. Le caporal Faelris fit un geste pour remettre en marche le convoi. Continuant prudemment, la colonne passa tout près de la place du village. C’est là qu’ils aperçurent la liche.

En réalité, ils avaient senti sa présence avant même de la voir. L’air s’était brutalement refroidi au point que de la vapeur se formait lorsque chacun expirait. Ils étaient arrivés sur la Grand Place d’Andorhal, et au milieu de celle-ci se tenait une créature de cauchemar. Aux yeux d’Asnath, ce n’était pas tant l’apparence de la liche qui l’effrayait mais ce que cet aspect laissait présager de la créature.

Il était difficile de la détailler précisément de loin, cependant il était possible pour la prêtresse d’en avoir une vision suffisamment nette pour être apeurée. La liche était un immense squelette à l’intérieur duquel était prisonnier une sorte de nuage de glace. L’air se changeait en brume qu’on devinait glacée au contacte de la créature.

Ce qui effraya réellement Asnath, ce fut lorsqu’elle comprit que l’apparence de la liche était le reflet de son esprit, froid, dur et simple. Il ne pouvait y avoir ni remord, ni sentiment de la part d’un être dont la condition dépassait elle-même tout questionnement sur le bien ou le mal. La liche obéissait à son roi, elle mettait pour cela en œuvre un esprit aiguisé que rien ne faisait reculer.

Le cœur de la prêtresse battait tellement fort dans sa poitrine qu’elle avait l’impression que tous pouvaient l’entendre. C’est alors qu’Ellécnite désigna la place.

- Ils sont figés, murmura-t-elle.

En effet, tous les morts-vivants qui se trouvaient dans leur champ de vision, y compris la liche, semblaient avoir été stoppés dans leur action, pas un ne bougeait. Cette étrange pétrification était l’explication de l’absence de réaction suite aux hennissements des chevaux. Pour une raison inconnu, la ville entière semblait s’être arrêtée.

Ne cherchant pas l’explication de ce phénomène qui leur avait sans doute sauvé la vie, le convoi se remit rapidement en route afin de profiter de cette chance qui leur était donnée.

Une fois la Grand Place passée, tous purent respirer un peu plus librement à l’approche de la porte nord. Ils avaient passé près de deux heures dans Andorhal, malgré l’apparente pétrification des créatures du Fléau, car nul ne savait quand ce phénomène prendrait fin.

Lorsqu’ils atteignirent enfin la sortie de la ville, un mouvement à l’extrémité de son champ de vision attira le regard d’Asnath. En tournant la tête, elle put apercevoir une gnome aux cheveux blancs qui s’éloignait vers l’ouest. Trystar, qui avait lui aussi vu la gnome, s’approcha.

- Je crois que c’était Chromie, déclara-t-il à l’intention d’Asnath.

- Qui est-ce ?

- Une étrange gnome qui vit dans les ruines, il paraît qu’elle possède quelques pouvoirs sur le temps.

- Alors c’est elle qui nous a aidés ? demanda la prêtresse.

- Je l’ignore, personne ne sait vraiment ce qu’elle fait ici, ni ce qu’elle cherche.

L’humaine suivit encore la petite silhouette des yeux puis, lorsque celle-ci eut disparut au détour de son chemin, elle s’intéressa au convoi. Zoorz demandait quelques conseils de dernière minute à un soldat tandis qu’Ellécnite vérifiait le chargement. Noem’Aeda était adossée à un arbre, en train de tailler une branche avec la dague de son frère.

Asnath savait que lorsque son amie sortait la dague, c’est qu’elle pensait à Izdar. La vue des morts-vivants avait ravivé sa peine, la prêtresse pouvait le ressentir aisément. Elle descendit de sa monture et s’adossa de l’autre côté de l’arbre.

- A quoi penses-tu ? demanda-t-elle.

- En réalité, à rien… et à tout, répondit la mage en continuant de retirer l’écorce de la branche, à ce que nous avons fait, ce que nous faisons, ce que nous ferons après. Pour tout te dire, c’est à cause de toi si je pense à cela.

- A quel sujet ?

- Quand tu as demandé au caporal Faelris s’il ne pensait pas regretter plus tard son choix.

Asnath ne dit rien, elle laissa la mage parler.

- Que ferons-nous après Asnath ? Si nous survivons, demanda Noem’Aeda d’une voix triste, retourneras-tu à la recherche de ta famille ? Et moi que ferai-je ? Serai-je comme Ellécnite ou Zoorz sur qui la guerre a apposé sa marque ? Devrai-je vivre comme Izdar l’aurait voulu ? Parfois j’aimerai bien ne pas avoir à penser par moi-même. Juste laisser quelqu’un décider à ma place… et obéir… obéir sans avoir à me poser de questions… rien de plus.

La jeune humaine vint se placer devant son amie et la força à baisser la tête pour que leurs regards se croisent. Asnath pu lire la tristesse de son amie au fond des prunelles couleur perle, ainsi qu’une profonde détresse qu’elle n’avait jamais vue auparavant. La mage cherchait un chemin, son chemin, et elle ne voulait pas avoir à choisir, de peur de regretter.

- Tu ne supporterais pas de perdre ton libre arbitre, Noem’Aeda, dit lentement la prêtresse en souriant à son amie, mais ne te tracasse pas à réfléchir sur tes décisions futures. Il n’y a aucune échéance pour choisir notre vie, souvent même le faisons-nous sans en avoir réellement conscience. Rare sont ceux dont le destin se joue sur une unique décision. Si tu ne sais pas ce que l’avenir te réserve, en ce cas vis le présent tel que tu le souhaites. Aller viens, nous allons repartir.

Tandis qu’elle s’en retournait vers sa monture, Asnath sentit la main de la draeneï sur son épaule.

- Et toi Asnath, comment vois-tu ton avenir ?

Les yeux émeraudes de la jeune femme fixèrent le vide un instant avant de revenir vers le visage soucieux de Noem’Aeda.

- Si je savais à quoi il ressemble, je ne mettrai pas des heures à m’endormir chaque soir, plaisanta-t-elle.

Les deux amies remontèrent en selle et rejoignirent leurs compagnons. L’escorte de l’Aube d’Argent allait couper par les collines près de la rivière pour retourner au camp sans repasser par Andorhal.

Après un bref au revoir, les deux groupes se séparèrent. Noem’Aeda donna un petit coup à l’humaine tandis qu’ils s’éloignaient, en se retournant Asnath vit que le jeune caporal la fixait toujours. En voyant qu’elle l’avait remarqué, Trystar esquissa un geste d’adieu maladroit pour tenter de cacher son embarras. Asnath y répondit puis se tourna de nouveau vers l’avant.

- Moi je sais comment je vois ton avenir si nous repassons par ici, murmura la mage à son oreille en riant.

La prêtresse haussa les épaules et ne releva pas la provocation. Si elle répondait, la curiosité d’Ellécnite serait piquée au vif devant cette chamaillerie et Noem’Aeda ne se ferait pas prier pour s’expliquer.