Afin d’essayer de rattraper Tassanya et Omundron, il leur fallait absolument utiliser des griffons, la voie des airs étant la plus rapide. Ellécnite guida donc la mage et la prêtresse à travers la montagne de Forgefer pour rejoindre le maître de vol.

Asnath et Noem’Aeda en profitèrent pour jeter un œil à la Grande Forge. Le magma brûlant tombait de la poche au dessous de laquelle avait été creusée la cité, réchauffant l’atmosphère de façon étouffante. Cette ressource naturelle permettait aux nains de Forgefer de pouvoir faire fondre les métaux les plus solides, conférant ainsi à leurs créations une résistance inégalable. La ville entière était construite autour de ce lac de lave bouillonnante. La Forge était à la cité ce qu’était le travail de forgeron pour les nains, son cœur et son âme.

Toutes les habitations étaient creusées dans la roche, il y faisait donc une température plus supportable qu’à proximité des coulées de lave. Malheureusement pour les deux amies, peu habituées à une telle température, le maître de vol se trouvait justement à côté du magma incandescent. Ellécnite laissa ses protégées en train de regarder les griffons nichés sur leurs lits de paille et alla négocier le prix du trajet avec leur maître.

Lorsqu’Asnath et Noem’Aeda entendirent les éclats de voix, elles se détournèrent des créatures mi-lion mi-aigle, pour reporter leur attention sur la démoniste. Ellécnite avançait vers elles, rouge de colère, et il était évident qu’elle se retenait de ne pas réduire le propriétaire des griffons en cendres.

- Que se passe-t-il ? s’enquit Asnath en emboîtant le pas à la gnome qui continuait son chemin sans vérifier si l’humaine et la draeneï la suivaient.

- Il se passe que ce cher homme n’a plus un seul griffon disponible, grinça Ellécnite en jetant un regard noir au nain en question.

- C’est pour ça que tu es en colère ? demanda Noem’Aeda en essayant de maintenir l’allure qu’imposait la gnome.

- Si je suis en colère, répliqua celle-ci avec une voix acide, c’est parce que cet outre de bière sur patte m’a gentiment envoyée voir ailleurs en me disant que je n’avais qu’à aller discuter avec le nain qui lui a réservé tous ses animaux.

- Et c’est lui que nous allons voir ? l’interrogea la mage.

- Oui.

- Mais tu sais où il se trouve ? insiste la prêtresse.

- Oui ! répondit brutalement la démoniste.

Asnath jeta un œil à Noem’Aeda qui haussa les épaules et leva les yeux au ciel, mieux valait laisser l’orage passer et suivre leur guide sans rien dire, de peur de finir transformées en torches vivantes.

- Les filles, soupira Ellécnite en ralentissant un peu, quand vous cherchez un nain, vous avez deux endroits et deux endroits seulement à explorer pour le trouver. Un champ de bataille… et la taverne ! Allons voir si ce Zoorz Titanev sera d’accord pour nous laisser deux ou trois griffons. Et j’espère pour lui qu’il acceptera, je ne suis pas d’humeur à négocier pendant des heures.

Les deux amies suivirent la gnome colérique dans le dédale troglodyte de la capitale naine. Ellécnite décida d’éviter les Communs le plus possible, elle n’avait pas envie de se faire bousculer par une de ces ‘’grandes-asperges-qui-ne-savent-pas-regarder-où-ils-marchent’’, en l’occurrence des gens normaux pour Asnath et Noem’Aeda mais qui auraient eu l’indélicatesse de confondre la démoniste avec un tapis. Aussi passèrent-elles devant la salle du Trône, où siégeait le Roi Magni Barbe-de-Bronze, et dont les portes massives étaient fermées et surveillées par de nombreux gardes nains aux haches aussi brillantes que leurs armures.

Enfin, elles pénétrèrent dans la taverne située non loin de l’entrée de Forgefer. L’ambiance y était bien différente de l’auberge d’Auberdine ou de celle d’Hurlevent. Les nains étaient certes connus pour être de grands amateurs de bière et de jeux à boire, cependant Asnath et Noem’Aeda restèrent un instant interdites face à l’atmosphère de la salle dans laquelle elles entrèrent. De la musique, du bruit de verre brisé, des cris de serveuse assaillie par un client un peu trop éméché suivis par le son d’un plateau envoyé dans la figure de l’importun, des rires, des aventuriers ivres morts qui dormaient à même le sol, les mots manquaient à la prêtresse pour tenter de décrire ce chahut général.

La démoniste en revanche ne semblait pas déstabilisée par l’ambiance et elle se dirigea sans hésitation vers une des serveuses à qui elle demanda où se trouvait le nain qu’elle recherchait. Evitant avec adresse les divers projectiles qui volaient dans la pièce, Ellécnite marcha jusqu’à une table où un nain était assis seul. Devant lui se trouvaient un nombre impressionnant de chopes vides.

- Rassure-moi, murmura Asnath à l’oreille de la draeneï, je ne suis pas la seule à considérer que je serai morte en ayant seulement bu la moitié de ce que ce nain a absorbé.

- Ne t’inquiète pas, répondit Noem’Aeda sur le même ton, je pense que même si nous nous y mettions toutes les deux nous ne pourrions rivaliser.   Et tu remarqueras qu’il n’a même pas l’air d’avoir l’esprit embrumé par l’alcool.

- Tu penses qu’il est capable de boire plus que ça ? s’étonna la prêtresse.

- Je pense même qu’il n’est pas à la moitié de ses possibilités. Les nains sont particulièrement étonnants sur ce point. Bon ça te dirait d’avancer, on est au milieu d’un couloir aérien pour projectiles.

Les deux amies se hâtèrent de suivre la gnome qui était désormais arrivée à la table du nain. Celui-ci étant plongé dans l’absorption d’une nouvelle bière, Ellécnite frappa un grand coup sur la table pour le faire réagir.

- Lieutenant Titanev, l’alpaga la démoniste en surprenant le nain qui s’étouffa, est-ce que je pourrais savoir pourquoi vous réquisitionnez tous les griffons de Forgefer ?

Le nain ne put répondre, prit d’une violente quinte de toux, Asnath s’avança pour lui venir en aide mais Ellécnite la retint par un pan de sa robe. Le dénommé Zoorz réussi à reprendre son souffle, puis ses yeux s’écarquillèrent de surprise lorsqu’il vit la gnome.

- Ellécnite, dit-il abasourdi, Ellécnite Turosiven ?

- Je crois que c’est moi en effet, vous avez perdu la mémoire en seize ans ?

- Seize ans qu’on s’est pas r’vus ? L’temps passe donc bein vite.

- Sans doute, répondit la gnome en haussant les épaules, mais vous n’avez pas répondu à ma question lieutenant.

- Ah ma p’tite, c’est que j’suis plus dans l’armée maint’nant.

- Tu as quitté les troupes de Forgefer ? s’étonna la démoniste en le tutoyant subitement.

- Oui da, acquiesça le nain, depuis un bon bout d’temps. Mais…

C’est alors que le nain parut remarquer les deux compagnes de voyage d’Ellécnite. Alors qu’il les détaillait de la tête au pied, Asnath fit de même.

Robuste et trapu, le nain avait un visage taillé à la serpe dont une grande partie était masquée par une épaisse barbe noire tressée par endroits. Ses yeux noirs, profondément enfoncés dans leurs orbites brillaient, sans doute sous l’effet de l’alcool. Il ne portait qu'une tunique et un pantalon de toile, mais les nombreuses cicatrices qui striaient sa peau ainsi que les cals que le maniement d’une arme avaient imprimés dans sa peau laissaient voir qu’il n’était pas un simple paysan. Les muscles bien marqués de ses bras formaient un relief étonnant sous le tissu de son vêtement. A mieux y regarder, Asnath s’aperçut qu’il lui manquait le petit doigt de la main gauche, la marque blanche de la blessure guérie se prolongeait en traçant un profond sillon dans la chair de son avant-bras.

Une fois qu’ils eurent fini de s’examiner silencieusement, le nain se tourna vers Ellécnite qui n’avait pas bougé d’un pouce.

- Les petiotes sont tes apprenties ? demanda-t-il.

- Pour ta gouverne les draeneïs refusent d’entendre parler de la magie corrompue, répliqua la gnome, et si Asnath avait été mon élève, elle n’aurait même pas eu l’idée de te venir en aide alors que tu t’étouffais avec ta bière.

- Mouais, bon. Pour répondre à ta question, j’ai quitté l’armée il y a une dizaine d’années. Maintenant…

- Tu es mercenaire ? demanda la démoniste.

- Assieds-toi et écoute-moi don’ ! s’énerva Zoorz.

Obéissant immédiatement à l’ordre donné à leur guide, Asnath et Noem’Aeda tirèrent en hâte deux chaises et s’y assirent. La démoniste, par esprit de contradiction, resta quelques secondes debout avant de faire de même.

- Bien, continua le nain, j’ai trouvé un nouveau boulot. J’sers de coursier pour l’Aube d’Argent et parfois pour la Croisade. Ils ont souvent b’soin de ravitaillement et les terres sont pas trop sûres par ces temps-ci.

- C’est pour ça que tu as besoin de tous les griffons de la ville ?

- Oui m’dame, répondit le nain en avalant une autre pinte de bière sous les yeux médusés d’Asnath et Noem’Aeda.

- Dis-moi que tu vas à l’Espoir de la Lumière et finalement tu verras peut-être la fin de cette journée.

- P’têt bein que c’est ma destination.

Ellécnite se redressa sur sa chaise et jeta un œil à ses camarades de voyage, leur problème semblait sur le point de s’arranger. Il était évident que le nain et la gnome se connaissaient de longue date, c’était sans doute la raison pour laquelle Ellécnite n’avait pas hésité un instant à aller chercher elle-même Zoorz à la taverne. Noem’Aeda toussota légèrement pour se faire remarquer.

- Hum, excusez-nous mais serait-il possible de faire les présentations ? Ce n’est pas qu’Asnath et moi ne comprenons strictement rien à votre conversation mais quand même.

- Excusez-nous les filles, répondit la démoniste, Zoorz, je te présente Asnath, jeune  prêtresse, et Noem’Aeda qui est mage. Les filles, je vous présente Zoorz Titanev, un vieil ami guerrier.

- Tu oublies d’dire que j’étais ton lieutenant au combat, rajouta le nain.

- Ce détail ne me semblait pas pertinent.

- Soit, intervint Asnath avant que la joute orale ne reprenne de plus belle, et donc serait-il possible que nous vous empruntions quelques unes de vos montures ?

- Ma p’tite demoiselle, ça s’pourrait bein. Mais j’suis core en train d’me d’mander si j’pourrais supporter c’te p’tite furie aux ch’veux roses bein longtemps. Pourquoi don’ vous voulez aller dans les Maleterres ?

- On part retrouver deux amis avant qu’ils n’entament un projet suicidaire qu’ils ont en tête, continua Ellécnite en faisant signe aux deux amies de ne pas en dire trop, prévoyant comme tu es tu as forcément plus de griffons que nécessaire en cas de blessure de l’un d’entre eux. On te paiera le prix de ceux que l’on utilisera. Tu y gagnes au change puisqu’on sait tous les deux que tu peux garder la monnaie de ce qu’on te donne pour les frais de transports comme prime. En plus Asnath peut soigner une monture blessée, ça t’évite du retard.

Le nain réfléchit un instant. Lorsqu’un grand sourire éclaira son visage, elles surent qu’elles venaient de trouver leur moyen de transport.

- Quand est-ce qu’on part ? demanda Zoorz.

- De combien de temps as-tu besoin pour être prêt ?

- Deux heures.

- Parfait, je te laisse une heure, répondit la gnome en se levant.

- Mais…

- On se retrouve près des nids des griffons, lança Ellécnite en quittant la taverne, emmenant avec elle la draeneï et l’humaine.

Zoorz Titanev se retrouva planté là, seul à sa table.


Chapitre Vingt-quatre : Départ pour le nord.

 

Pendant l’heure qui suivit, Ellécnite traîna Asnath et Noem’Aeda dans tout Forgefer dans le but de préparer leur expédition. Malgré leurs pieds endoloris par la marche du matin et leurs jambes qui criaient grâce, les deux amies ne purent se résoudre à contrarier la gnome. Finalement, la démoniste leur accorda quelques minutes de repos en les laissant près du petit bassin de la Garde Mystique. Alors que l’humaine et la draeneï soufflaient, Ellécnite partit en leur disant de rester là.

- Ah, soupira Noem’Aeda, une pause, loués soient tous les dieux qui existent. Je ne sens plus mes pieds.

- Et encore, tu as des sabots, dit Asnath, cela te rajoute une protection. Imagine ce que je ressens avec mes petits pieds tous mous. Je me demande ce qu’il peut encore manquer à Ellécnite. Elle nous a emmenées d’un bout à l’autre de la cité, nous avons acheté des couvertures plus chaudes, des vêtements de rechange, une tente pour elle en plus des deux nôtres…

- Sans compter la quantité assez impressionnante de vivres, renchérit la mage en laissant traîner sa main dans l’eau du bassin, nous en avons assez pour nourrir un régiment entier et… aïe !

Noem’Aeda retira sa main de l’eau et porta son doigt à sa bouche. Asnath examina sa main et vit une marque de morsure très nette sur son majeur.

- C’est un poisson qui t’a fait ça ? demanda la prêtresse avant d’incanter à voix basse.

- J’ai l’impression, j’espère que ça ne va pas s’infecter.

- Ne t’en fais pas pour ça.

- Je vous laisse cinq minutes et vous arrivez à vous blesser, se désespéra Ellécnite en les rejoignant.

- On ne pouvait pas… commença Asnath avant de s’arrêter.

La prêtresse venait de s’apercevoir que la démoniste était chargée de nombreux livres qui tenaient en équilibre instable dans ses bras. Les deux amies se dépêchèrent de la débarrasser des imposants volumes avant que l’échafaudage ne s’écroule.

- Tu nous as fait courir dans toute la ville pour des livres ! s’étonna Noem’Aeda, attends voir que je lise les titres… quoi ! Des livres de sorts pour mage ?

- Pour prêtre aussi, compléta Asnath en se dévissant le cou pour lire le nom du livre au sommet de la pile qu’elle tenait.

- Oui, acquiesça la gnome, vous ne pensiez tout de même pas que j’allais vous laisser avec des connaissances au niveau des pâquerettes. Noem’Aeda tu peux toujours râler, c’est dans ton propre intérêt d’apprendre le plus de sorts possibles. Asnath, tu maîtrises certes parfaitement l’art du soin mais pour ce qui est de combattre il serait préférable que tu sois capable de faire autre chose que des boucliers. Je vous ai de plus rajouté un livre de stratégie militaire, les meilleurs combattants peuvent se faire balayer en moins d’une heure pour peu qu’ils n’aient pas bien choisi leur tactique. Maintenant allons retrouver Zoorz.

Les deux amies parvinrent avec peine à ranger les livres qui alourdirent considérablement leurs sacs puis le trio retourna auprès du maître de vol où le guerrier les attendait. Les griffons étaient tous harnachés et prêts à partir, deux d’entre eux étaient sellés tandis que les autres portaient tous de lourdes caisses de matériel et de nourriture. Zoorz aussi était prêt pour le voyage, il portait désormais par-dessus ses vêtements de toile une armure en plaques massives qui le protégeait intégralement. Dans son dos étaient accrochées une hache et un grand pavois et son casque ne laissait voir que ses yeux. Le nain s’avança vers elles lorsqu’il les vit arriver.

- Alors prêtes ? demanda-t-il à l’intention de la draeneï et de l’humaine, vous avez jamais utilisé ce genre de bestioles hein ?

- Non, jamais, confirma Asnath, est-ce beaucoup plus compliqué qu’un cheval ?

- En réalité c’est plus simple, répondit Ellécnite, les griffons sont certes farouches en liberté mais, une fois domestiqués, ils sont très obéissants et ne craignent pas les combats.

- Nous allons d’voir monter à plusieurs par griffons, expliqua Zoorz en montrant les deux animaux sellés, va falloir s’répartir au niveau du poids.

- Avec ton armure tu es le plus lourd de nous quatre, déclara la gnome, moi je suis la plus légère donc je pense que nous allons devoir voyager ensemble. Asnath et Noem’Aeda seront donc sur le second griffon. Les filles, voyez entre vous qui va devant et qui passe derrière.

Après quelques minutes d’âpre débat entre les deux amies, qui laissèrent le temps au nain et à la gnome de régler le prix du trajet au propriétaire des animaux, se fut Asnath qui monta à l’avant. La selle des griffons était plus complexe que celle des montures classiques. En effet, en plus des classiques étriers, elle était équipée d’une ceinture qui permettait de maintenir celui qui montait le griffon sur le dos de sa monture en cas de combat aérien ou simplement d’acrobaties.

Une fois tout le monde bien installé, Zoorz fit décoller son griffon auquel était accrochée la caravane d’animaux hybrides. Asnath prit une inspiration et enfonça ses pieds dans les flancs de sa monture qui commença à battre des ailes et à prendre de l’altitude. Quand les deux amies arrivèrent à la hauteur de leurs compagnons Ellécnite leur montra une ouverture en haut du mur circulaire de la Grande Forge.

- Première épreuve. On doit passer par là pour sortir, essaie de serrer à droite si jamais quelqu’un venait à arriver. Une fois cette ouverture passée, tu continues vers l’entrée, tu fais attention à bien tourner à gauche ou à droite pour éviter de te prendre un mur, de toute façon ton griffon ne te laisserait pas faire. On vous suit les filles.

Nouveau coup de talon et la monture partit vers l’ouverture désignée. L’humaine et la draeneï se firent une frayeur car Asnath avait oublié que son amie était plus grande qu’elle et cette dernière du se baisser en urgence pour ne pas se prendre le mur. Elles sortirent ensuite sans encombre et laissèrent Forgefer derrière elles. Elles attendirent que la caravane les dépasse puis Asnath les ramena à hauteur du griffon de Zoorz et Ellécnite. En faisant attention, l’humaine rapprocha sa monture de celle de leurs compagnons.

- Par où allons-nous passer ? s’enquit Noem’Aeda qui avait sorti sa carte qui avait été un peu amochée pendant l’attaque des morts-vivants.

- Par les Paluns, puis les Hautes-Terres d’Arathi et enfin nous arriverons à Austrivage en longeant le littoral, expliqua Zoorz.

- Pourquoi ne pas couper par l’océan ? demanda la mage.

- Deux raisons. D’abord les griffons fatiguent à force d’voler toute la journée et y a  pas suffisamment d’îles pour pouvoir s’arrêter toutes les nuits. Et d’toutes façons, même si on forçait les pauv’ bêtes, il y a pas beaucoup d’courants d’air chaud au niveau d’l’eau, ça les force à battre plus des ailes.

- Ça vous laisse un peu de temps pour jeter un œil à vos livres, ajouta Ellécnite avec un grand sourire.

En soupirant la draeneï sortit un des gros volumes de son sac et commença à le feuilleter.

- Oh non, se lamenta-t-elle, pas de la magie des arcanes.

- C’est plus complexe à apprendre ? lui demanda Asnath.

- C’est de la magie pure, l’avantage des écoles du feu et du givre c’est que tu canalises l’énergie magique dans les éléments que tu cherches à maîtriser. La magie arcanique est à l’état brut, elle requiert plus de concentration et de savoir-faire. Il faut souvent plusieurs essais avant de parvenir à effectuer parfaitement un sortilège arcanique.

- Dans ce cas si tu pouvais te retenir de tester tes apprentissages tandis que nous sommes en vol je t’en serai gré. Je ne tiens pas à ce que notre monture se retrouve transformée en  créature terrestre par exemple.

- Je tâcherai de faire attention.

La caravane continua son vol pendant encore deux heures avant que les estomacs vides des deux amies ne les forcent à faire une pause. Midi était passé et les deux jeunes femmes n’avaient pas mangé depuis l’aube.

Ils étaient arrivés dans les Paluns, une région humide et marécageuse qui rappelait par sa faune et sa flore le Marécage d’Aprefange. Très peu de gens vivaient dans cette région et les seuls habitants étaient concentrés dans la ville portuaire de Ménéthil. Du fait de l’abondance des crocillisques et des raptors dans les environs, Zoorz et Ellécnite décidèrent d’arrêter les montures en hauteur sur un petit promontoire rocheux.

Une fois descendue du griffon, Noem’Aeda demanda à la démoniste si elle acceptait de s’entraîner avec elle. Les deux magiciennes s’en furent donc un peu à l’écart pour ne pas effrayer les montures et laissèrent Zoorz et Asnath seuls. La prêtresse ne parvenait pas à détacher les yeux de la main mutilée du nain, celui-ci s’en rendit vite compte.

- Tu te d’mandes comment que j’m’suis fait ça hein gamine.

- J’avoue me demander quelle arme a pu laisser une cicatrice aussi grande.

- Oh l’arme, c’tait une mâchoire.

Le nain eut un sourire crispé en voyant l’air horrifié qui se peignait sur le visage d’Asnath.

- J’étais pas bein vieux quand c’est arrivé. J’étais soldat dans la même unité qu’la petite furie, pas core lieutenant à c’t’époque. Si ma mémoire m’quitte pas, c’était quelques mois après la chute d’Lordaeron. On nous avait d’mandé de faire un r’pérage dans les environs d’une vieille ferme. On cherchait les ennemis partout, devant, derrière, et d’gauche et d’droite. On a juste oublié qu’ils pouvaient être en dessous. C’est la p’tite rose qui a été attaquée la première, p’têt qu’ils voulaient en faire leur amuse-gueule. Elle s’en est sortie mieux qu’moi. On a été pris dans une embuscade, notre lieutenant s’était fait avoir comme un bleu, il est d’ailleurs jamais r’venu de c’t’mission. Un instant j’ai pas fait assez attention et y a un de ces bouffeurs de chair qui m’a attrapé le bras. Plus j’me débattais, plus i’s’accrochait et faisait des dégâts. J’ai fini par lui casser les dents à coup de hache pour l’faire lâcher. Quand on a gagné la bataille, l’soigneur est v’nu voir mon bras. Il avait peur que j’sois infecté alors il a été obligé de m’couper le doigt et d’enlever toute la chair qu’avait déchiqueté le mort-vivant. On m’a mis à l’écart pendant trois jours pour voir si j’tombais malade, mais j’étais sain. L’prêtre avait irradié la blessure avec d’la lumière, j’pense que c’est pour ça que j’ai rein eu.

- Et cette blessure ne vous dérange pas pour vous battre ? demanda la prêtresse.

- Non parce que c’est la main qui tient mon bouclier, pas b’soin de c’doigt là.

- Si ce n’est pas indiscret, pourrais-je vous demander pourquoi vous avez quitté l’armée ?

- Pour ça gamine.

Zoorz sortit de sous son armure un petit médaillon ovale gravé en filigranes. Il l’ouvrit et montra à Asnath ce qui s’y trouvait. Il y avait là les portraits d’une naine et de deux enfants. La naine avait de grands yeux dont la couleur rappelait la sève sombre de certains arbres et ses cheveux roux étaient attachés en une savante coiffure composée de plusieurs tresses qui s’enroulaient autour de sa tête. Les deux enfants étaient des garçons, l’un ressemblait comme deux gouttes d’eau à la naine tandis que l’autre avait les mêmes yeux que Zoorz.

- C’est votre famille ?

- Oui. Ça c’est Ilaba, ma femme. J’l’ai rencontré à Forgefer un jour que j’devais aller au Hall des Explorateurs. Elle s’occupe des archives là-bas. Les deux d’mi-portions sont nos fils, Numbad et Certub. Je m’d’mande c’que j’vais en faire de ces deux là, sans doute qu’ils s’ront guerriers comme leur père. J’aurais préféré les élever dans un monde plus tranquille, mais bon… on peut pas y faire grand-chose. Tiens, j’pense que tu vas avoir du boulot gamine, la démoniste ne s’est pas retenue.

Les deux duellistes revinrent vers eux et Asnath comprit ce que voulais dire Zoorz. Noem’Aeda essayait de maintenir son bras loin de son corps pour éviter que la brûlure récente qui s’y trouvait ne frotte avec le tissu de sa robe. Ellécnite en revanche ne semblait pas être blessée. La prêtresse vint à la rescousse de son amie.

- Que s’est-il passé ?

- J’ai attaqué trop tôt, répondit la draeneï en gémissant tandis que Asnath passait ses paumes lumineuses sur sa peau brûlée, j’ai commencé à incanter mais elle a été plus rapide que moi. J’aurais du attendre un peu plus longtemps pour utiliser un contre-sort mais je n’y ai pas pensé. La règle du duel était à la première blessure, ça a tourné très court.

En une minute, la brûlure ne fut qu’un mauvais souvenir, l’humaine vérifia une dernière fois qu’il n’y ait pas de cicatrice puis elle laissa son amie s’assurer que son bras n’avait pas perdu sa motricité. Une fois qu’elles furent rassurées, la prêtresse et la mage rejoignirent leurs camarades de camps. Ils prirent leur repas puis remontèrent en selle.

Se fut Noem’Aeda qui passa devant pour le reste de l’après-midi, laissant ainsi le temps à Asnath d’étudier les livres que la démoniste leur avait achetés. Elle commença par feuilleter le livre de sortilèges mais c’est rapidement l’ouvrage destiné à la stratégie qui l’intéressa plus. Si quelques mois plus tôt on lui avait annoncé qu’elle se trouverait un jour sur le dos d’un griffon, partant au secours d’Omundron, en train de lire un livre sur les règles de la tactique militaire, sans doute aurait-elle rit. Comme l’avenir pouvait changer vite.