- Et tu me dis que ce sont les Humains qui sont rancuniers. As-tu du sang humain ?

- Qu’est-ce qui te fait dire ça ? demanda Noem’Aeda soupçonneuse.

- N’essaie pas de me mentir, il est évident que tu détestes cet orc parce que son peuple qui est responsable de la destruction de ta famille. Mais rappelle-toi que c’est aussi son peuple qui vous a accueilli chez lui pendant votre exil et qui est devenu ce qu’il est parce que la Légion Ardente vous poursuivait.

- D’où tiens-tu cela ?

- De toi, tu me l’as raconté il y a deux jours lorsque je t’ai demandé pourquoi Draenor est devenue l’Outreterre. Ecoute Noem’Aeda, tu n’aurais peut-être pas fait le même choix que moi devant ce blessé mais c’est fait. Maintenant qu’il est là regarde-moi dans les yeux et oses me dire que tu serais capable de le déplacer et de le laisser à la merci de n’importe quelle créature du coin.

La draeneï détourna son regard de celui d’Asnath pour fixer l’orc dont la respiration s’était allégée. Puis elle prit la marmite d’eau et entreprit de préparer le repas pendant que l’humaine installait son protégé.

Plus tard, lorsqu’elles eurent mangé, sans avoir échangé un mot, elles se glissèrent sous leurs couvertures. Asnath, qui regardait les étoiles, décida d’essayer de faire la paix avec son amie.

- Dis-moi Noem’Aeda.

Un grognement venant de l’autre côté des flammes du foyer lui servit de réponse.

- Comment était-ce, Draenor ? Avant.

Le bruissement de la couverture de la mage parvint aux oreilles de l’humaine alors que sa propriétaire se mettait sur le dos pour regarder le ciel elle aussi.

- Par où commencer ? Comment t’expliquer ? s’interrogea-t-elle à voix haute, pour moi cela restera toujours le paradis. Tu sais, quand tu es en exil, même si tu as vécu dans le pire des lieux et que tu arrives dans la région la plus fertile, tu trouves que tu étais mieux chez toi. Justement parce que Draenor était chez moi je ne pense pas être en mesure de me sentir bien ailleurs avant très très longtemps. Enfin, pour en revenir à ce que tu demandais, ce qui désormais porte le nom d’Outreterre était auparavant un monde aussi riche et varié qu’Azeroth. Moi je suis née là-bas avec mon frère, nous habitions une région dont plus rien ne reste à présent. Si jamais tu as l’occasion d’aller en Outreterre, et que tu arrives dans la région de Nagrand, tu auras une idée d’à quoi ressemblait mon chez moi. Il y avait plusieurs lacs et des rivières, c’était… tellement beau. A l’époque nous vivions encore en paix avec les Orcs. Nos peuples entretenaient des relations chaleureuses. Et puis…

- La Légion vous a rattrapés.

Noem’Aeda hocha la tête, Asnath pouvait voir les larmes qui brillaient dans ses yeux.

- Les Orcs ont été corrompus et nous avons été massacrés, puis Draenor a été détruite. Ceux d’entre nous qui sont restés ont commencé à se transformer sous l’influence des énergies démoniaques qui imprègnent désormais l’Outreterre. Maintenant nous reconnaissons à peine ceux qui étaient autrefois nos frères, nos amis…

La mage ne parvint pas à achever sa phrase.

- Je ne pense pas être en mesure de comprendre ta souffrance, te dire le contraire serait un mensonge, déclara Asnath. Je suis désolée de t’avoir fait de la peine ce soir. Mais je ne pouvais pas le laisser mourir, pas seul comme cela. Les Orcs n’ont jamais été le peuple le plus aimé, je pense même qu’ils doivent de loin être les plus haïs après les non-morts, si on peut qualifier ceux-là de peuple. Pourtant ils ont comme tous les autres été les victimes des démons et tu ne peux pas les en blâmer. Comme tu me l’as dit, c’est parce que deux de vos chefs se sont joints aux démons que tous les peuples que nous connaissons souffrent.

Un long silence suivit cette remarque. En voyant que la draeneï attendait qu’elle continue, Asnath prit son courage à deux mains pour poursuivre.

- Noem’Aeda, j’ai vécu pendant vingt ans coupée du monde, tout ce que je sais je l’ai appris de toi pendant cette semaine. Je n’ai donc pas eu le temps d’avoir des a priori sur les gens que je rencontre. Je suis venue en aide à cet orc de la même façon que je te suis venue en aide pour soigner ton elekk. Si tu n’approuves pas mon choix, je te demande cependant de le respecter et, en souvenir de l’amitié qui unissait vos deux peuples autrefois, d’accepter que nous aidions ce blessé.

- Très bien, Asnath. Tu m’as convaincue, si tu as besoin de moi cette nuit pour lui prodiguer des soins, n’hésite pas. Demain nous aviserons mais tu seras seule responsable s’il s’enfuit pendant la nuit et va chercher des renforts.

Sur ce, la mage éteignit le feu de camp pour ne pas être repérable et la prêtresse incanta un bouclier autour du camp pour prévenir l’attaque de bêtes sauvages. S’enroulant dans sa couverture pour se protéger du froid, Asnath se demanda pourquoi elle avait décidé de sauver cet orc.

Chapitre Quatorze : Traversée de la Croisée.

 

A l’aurore, Asnath se réveilla pour vérifier si l’orc allait bien. Toute la nuit elle avait veillé à ce que son état ne s’empire pas et il semblait avoir dormi paisiblement. Humidifiant un linge, elle changea celui qui se trouvait déjà en place sur le front du blessé pour éviter que la fièvre ne monte. C’est à ce moment qu’elle vit les yeux noirs de ce dernier qui la fixaient. Ne pouvant retenir un cri de surprise elle perdit l’équilibre et tomba assise par terre.

Ayant été dérangée par le cri d’Asnath, Noem’Aeda ouvrit les yeux et se redressa.

- Que se passe-t-il ?

- Il est réveillé.

L’orc se redressa faiblement lui aussi, observa les cicatrices que les morsures les plus profondes avaient laissées sur son corps puis commença à parler dans une langue gutturale qu’Asnath ne comprenait pas.

- Tu sais parler l’orc ? demanda-t-elle à son amie.

- Je connais quelques insultes.

- Des insultes ?

- Et bien oui, je n’ai pas eu le temps d’apprendre leur langue mais quand on veut se débarrasser d’un groupe de gamins orcs qui vient sur TON terrain de jeu le mieux c’est de le leur dire dans leur langue.

- Félicitation pour cette preuve de diplomatie, tu es sûre que tu es bien une draeneï ? Tu contredis tes propres descriptions de ton peuple. Mis à part ce détail, par hasard ne connaîtrais-tu pas un moyen de lui expliquer ce qui lui arrive ?

Le visage de la mage s’éclaira, elle prit son sac et en sortit un étrange cristal puis récupéra une braise dans le foyer. Avec le cristal, elle traça un symbole compliqué au centre duquel elle plaça la braise. Elle dessina ensuite avec le même cristal un autre symbole sur le front d’Asnath puis commença à réciter une incantation. La braise se ralluma d’un feu bleu dont émergea une sphère enflammée. Dans la sphère se succédaient des images confuses.

- Par la grâce de la lumière, dans quel embarras aurions nous été si je n’avais point eu la présence d’esprit d’utiliser ce sortilège. C’est assez typique draeneï à ton goût ? demanda Noem’Aeda avec une voix acide, blague à part, tout ce à quoi tu penses se retrouve projeté dans la sphère, tu peux lui montrer ce qu’il s’est passé hier.

L’humaine ne se le fit pas dire deux fois, concentrant ses pensées sur les événements de la veille. Elle vit se projeter sous ses yeux son expédition pour trouver de l’eau, la découverte du corps du chacal et du blessé qui se trouvait au dessous. Elle dirigea ensuite ses pensées sur le souvenir du mur rocheux où se trouvaient les traces de la chute de l’orc. Le récit s’acheva sur les souvenirs de la nuit passée à prendre soin du blessé puis les pensées d’Asnath se mélangèrent de nouveau, créant dans la sphère un spectacle de couleurs chatoyantes. Se laissant emporter par le flot de souvenir, la jeune humaine remonta trop loin dans le temps et vit réapparaître sous ses yeux la scène de la mort de Reïna.

- Arrête le sort, Noem’Aeda, ordonna-t-elle affolée, s’il te plaît arrête ça.

Son amie réagit vite et effaça une partie du symbole tracé dans la poussière. La sphère incandescente se volatilisa dans un nuage d’étincelles.

- Asnath, tu vas bien ? demanda Noem’Aeda inquiète.

- Oui, maintenant ça va. Merci, répondit l’intéressée en reprenant ses esprits, voyons maintenant s’il a compris qu’on ne lui veut pas de mal.

L’orc, qui avait attentivement observé les souvenirs d’Asnath à travers la sphère, s’était redressé un peu plus et tendit la main devant lui. Les deux amies eurent un mouvement instinctif de recul, le blessé leva ses yeux noirs sur elles puis referma son poing sur une poignée de poussière.

- Qu’est-ce qu’il fait ? s’enquit Asnath.

- Je pense que c’est un chaman à en voir ses amulettes. Il est capable d’invoquer les esprits des éléments. Si je ne me trompe pas, il a l’air de vouloir te montrer quelque chose.

C’est alors que l’orc lâcha la poussière qui, au lieu de s’éparpiller au vent, forma une petite tornade dans laquelle on pouvait voir de plus en plus distinctement des silhouettes. Asnath et Noem’Aeda s’avancèrent pour mieux distinguer les formes. On voyait un orc au bord d’un précipice, entouré par une dizaine d’autres orcs au visage masqué par des foulards et leurs dagues sorties. Il y avait aussi trois chacals montrant les crocs qui s’avançaient vers l’orc isolé.

- Des bandits, déclara la draeneï, il a été attaqué par des bandits.

Les silhouettes de sables se mirent alors en mouvement, deux des chacals se jetèrent sur l’orc qui les repoussa à l’aide d’éclairs et de flammes. Les deux animaux s’écroulèrent et les orcs commencèrent alors à avancer. La mêlée qui s’en suivit était incompréhensible pour les deux spectatrices qui n’arrivaient pas un distinguer leur blessé des autres orcs. C’est alors que l’attaqué se retrouva tout au bord du précipice et le dernier chacal en vie lui sauta dessus, les faisant tous les deux basculer dans le vide. Les formes de sables se brouillèrent pour offrir une nouvelle vue, cette fois-ci d’en bas du mur rocheux, où l’on voyait les bandits regardant le bas de la falaise, puis se retirant.

La tornade se dissipa, les formes de poussière se dispersèrent aux quatre vents. Les yeux charbons de l’orc plongèrent dans les prunelles semblables aux perles de Noem’Aeda puis dans celles couleur émeraude d’Asnath.

- Donne-moi la carte s’il te plaît Noem’Aeda. J’aimerai savoir d’où il vient.

Asnath posa le document déroulé devant le blessé, la ligne rouge de leur itinéraire toujours tracée sur le papier. Elle posa son doigt à l’endroit où se trouvait le campement puis désigna la frontière entre les Tarides et le marécage d’Aprefange où elles désiraient aller. Elle traça ensuite dans la poussière un dessin représentant vaguement une maison puis pointa l’orc du doigt. Le regard de se dernier s’illumina, il retourna avec précaution la carte, l’examina un moment puis posa son doigt sur le seul endroit que la carte recommandait d’éviter.

- Et bien nous sommes dans les ennuis, marmonna Noem’Aeda, sur tous les orcs blessés qui existent tu arrives à me ramener le seul qui habite à la Croisée. Que comptes-tu faire ?

Asnath réfléchit un instant, il était hors de question d’abandonner le blessé ici mais il était tout aussi inenvisageable de se risquer dans les alentours de la Croisée. Soudain, la prêtresse vit que l’orc lui faisait signe. Tout d’abord il les désigna toutes les deux, alors il prit une brindille et suivit leur chemin depuis le nord de la région. Cependant il fit passer le chemin invisible au travers de la Croisée. L’orc répéta l’opération deux fois avant que la draeneï et l’humaine ne comprennent vraiment.

- Tu peux nous faire passer par la Croisée ? demanda la mage intriguée.

Le blessé hocha la tête puis essaya de se lever, sans doute pour se mettre en route. Une fois sur ses pieds il perdit l’équilibre et Asnath eut du mal à le rattraper car il était bien plus lourd qu’elle.

- Attention, s’écria la prêtresse en désignant la jambe de l’orc, ce n’est pas encore bien consolidé.

Le chaman acquiesça en signe de compréhension puis alla s’asseoir sur une pierre en attendant qu’Asnath et Noem’Aeda aient finit de préparer leurs affaires. Ils se mirent tous les trois en route, Noem’Aeda devant avec la carte et les montures, Asnath derrière soutenant l’orc.

L’étrange trio mit plusieurs heures à atteindre la Croisée. Lorsqu’ils furent proches des barricades, une sentinelle les repéra et donna l’alerte. L’orc commença alors à crier dans sa langue à l’intention de ceux à l’intérieur.

- Maintenant il n’y a plus qu’à espérer qu’il ne soit pas en train de leur dire que nous le retenons prisonnier, murmura Noem’Aeda à l’intention de son amie.

- Ne sois pas si pessimiste, où est passé ta bonne humeur ?

- A dire vrai, elle était en train de revenir il y a quelques instants mais avec la troupe de cavaliers qui nous fonce dessus elle a décidé de repartir.

De fait, une escouade de cinq orcs montés sur des loups vint à leur rencontre. Noem’Aeda se plaça légèrement en avant afin de pouvoir utiliser ses sorts sans risque de blesser Asnath. Elle n’eut pas besoin de s’en servir, le groupe de cavalier s’arrêta face à elles et leur chef commença à discuter avec l’orc qu’elles avaient sauvé. Au bout d’un moment, le chef tourna les yeux vers les deux intruses. Il s’éclaircit alors la voix.

- Hum, je me nommer Grork, capitaine des grunts à la Croisée, déclara-t-il en utilisant avec peine le langage commun. M’excuser si je parle mal ta langue. L’orc que tu sauvé être Naarok, chaman puissant.

- S’il avait été si puissant, il n’aurait pas eu besoin de nous, marmonna Noem’Aeda.

Asnath lui lança un regard aigu puis reporta son attention sur Grork.

- Naarok remercie beaucoup, Naarok a une dette pour toi. Lui ne jamais oublier ton aide. Si vous vouloir traverser la Croisée, nous faciliter votre passage. Venez nous suivre et passer en sécurité. Nous nous occuper de Naarok.

Un loup fut avancé et le chaman monta sur sa selle, aidé par deux orcs. Asnath put enfin se redresser, libérée du poids de l’orc, puis se mit elle aussi en selle.

La traversée de la Croisée se fit sans encombre, l’humaine et la draeneï rapprochèrent cependant leurs montures afin de se sentir plus en sécurité. Les regards se tournaient à leur passage, les artisans stoppaient leurs activités pour observer ces deux étrangères qui traversaient ainsi un lieu si protégé. A la sortie du camp, les grunts s’écartèrent pour laisser le chemin libre à celles qu’ils venaient d’escorter. Alors qu’elles s’engageaient ensemble sur la route poussiéreuse, Asnath se retourna et vit Naarok qui leur faisait un signe d’adieu, soutenu par un autre orc. Elle lui fit au revoir elle aussi, remarqua que l’elekk de Noem’Aeda commençait à s’éloigner et talonna sa monture pour revenir à sa hauteur. Le duo continua sa route vers le Marécage d’Aprefange.