- C’est bien simple, répondit Noem’Aeda en tapotant une petite bourse qui pendait à sa ceinture, j’ai là-dedans assez de composants pour nous invoquer à manger pendant plus d’un mois. Sinon, quand tu es incapable de marcher correctement pendant trois ans, tu apprends à pêcher et à faire la cuisine. Enfin pour ce qui est de dormir, j’espère que tu ne comptais pas coucher dans un lit tous les soirs parce qu’on ne va pas croiser beaucoup de villes de l’Alliance une fois Astranaar passée. Si tu as un peu d’argent, on va t’acheter de quoi dormir à la belle étoile et une tente à monter en cas de pluie. Vu ta tête je sens que ça va te changer de ton couvent.
Asnath leva sur la draeneï un regard plein de tellement de désillusion que cette dernière éclata de rire. Se tenant les côtes, elle eut du mal à se contrôler car à chaque fois qu’elle croisait de nouveau le regard de l’humaine elle repartait dans son fou-rire. Les larmes aux yeux, elle parvint à articuler :
- Je vais devoir tout t’expliquer en chemin ma pauvre. Bon, reprenons nos esprits. On va déjà commencer par éviter les erreurs diplomatiques. Tu vois la table qui est au fond de la salle. Quatre personnes qui y sont assises. Je veux que tu me dises à quelle race et à quel type de combattant elles appartiennent et donc à quoi tu dois t’attendre de leur part.
Asnath observa la table en question, il y avait là trois hommes et une femme. La femme et un autre homme semblaient appartenir au même peuple, parmi les deux autres il y avait un elfe et un humain.
- Alors… commença la prêtresse, il y a un elfe, un humain ainsi que deux… deux…, Asnath hésita, deux gnomes ?
- Raté, ce sont deux nains. Ne va surtout pas les confondre, même si ce sont deux races qui ont un profond respect l’une envers l’autre et qui sont liés par une solide amitié. Pour te repérer, les hommes nains portent le plus souvent une grande barbe et sont capables de boire en une soirée plus de bière que tu ne le pourras en une vie. Ils sont généralement plus robustes que les gnomes et quand même plus grands. Enfin, les nains parlent eux aussi avec un accent, adorent se battre et tout ce qui a trait de près ou de loin aux minéraux. Les naines sont moins rustres que leurs représentants masculins au demeurant.
- Et les gnomes ?
Noem’Aeda pointa discrètement une autre table où trois personnes de la taille d’enfants humains étaient en train d’assembler une drôle de machine à l’aide d’outils tout aussi étranges. Ils avaient tous des couleurs de cheveux étonnantes, vert pour deux d’entre eux et bleu pour le dernier.
- Les Gnomes sont les savants fous de l’Alliance, tu peux leur faire confiance pour te bricoler tout ce que tu veux avec une vieille barre de fer, trois boulons et une pierre qui recèle plus ou moins d’énergie. Bon après il y a de fortes chances que ça leur explose à la figure et…
Comme pour appuyer les dires de la mage, un fort bruit se fit entendre et la pièce fut envahie de fumée. Lorsque celle-ci fut évacuée, Asnath et Noem’Aeda purent voir les trois gnomes, de la suie plein le visage et les moustaches brûlées mais vivants. Alors ils commencèrent tous les trois à se disputer pour savoir lequel était responsable de l’explosion.
- Tu vois ce que je te disais ? reprit la draeneï en faisant signe à la serveuse de ramener une cruche de boisson. Les Gnomes sont des gens sympathiques mais je pense qu’ils ont du tous devenir un peu fous lors des événements de Gnomeregan. Si tu as besoin de quelqu’un pour une mission qui a un minimum de chance de réussite tu peux être sûre qu’ils en sont, tant que ça leur paraît palpitant. Mais attention, ils ne sont pas comme les nains prêts à n’importe quelle bataille.
- Donc les Nains sont de tous les combats tandis que les Gnomes sont adeptes des plans risqués. Les Elfes d’après ce que je sais sont plutôt pacifistes.
- C’est ce que tu crois, les combattants elfes sont loin d’être les derniers dans la mêlée quand la bataille arrive. Cependant ils vérifient toujours qu’il n’y a pas d’autre issue moins violente avant de frapper. Quand aux Humains, ça dépend. Je ne peux pas vraiment te dire, tu devrais être la plus à même de déterminer leur caractère. Pour certains, une promesse d’honneur est le plus grand des serments. Pour d’autres, dès que leur intérêt personnel est mis en jeu, il n’y a plus d’alliance qui tienne. Et, je suis désolée de te le dire, mais les Humains ont plutôt tendance à rester basés sur de vieilles querelles plutôt que d’oublier et d’avancer.
- Et les draeneïs ?
- Sont parfaits puisque j’en fais partie, plaisanta Noem’Aeda, non en réalité si votre monde est dans cet état c’est en grande partie par la faute de deux chefs de notre peuple. Disons que maintenant nous nous méfions de tout ce qui pourrait nous replonger dans nos erreurs passées. On se tient donc à l’écart de la magie gangrénée entre autre. Si tu veux savoir à quoi t’attendre avec nous, je n’ai qu’un mot à te dire : retenue. On reste toujours en retrait de toutes les décisions. En revanche quand on donne notre parole, on ne la retire pas. Donc si je te dis que je te prends en charge jusqu’à Theramore et plus loin si on décide de rester ensemble, tu peux être sûre qu’il ne t’arrivera rien tant que je serai vivante à tes côtés. Maintenant essaie de deviner quelles sont les formations des quatre aventuriers que tu m’as décris.
Asnath pencha la tête sur le côté pour voir la table derrière Noem’Aeda. L’homme nain était habillé de lourdes plaques qui semblaient peser une tonne et un casque massif en acier noir était posé à côté devant lui, appuyés sur le mur se trouvaient un bouclier et une épée à large lame. La naine était elle aussi en armure, mais ressemblait moins à un coffre-fort. A ses côtés se trouvaient une lourde épée dont le long manche laissait penser qu’il fallait deux mains pour la soulever.
L’elfe était habillé d’une tenue de cuir sombre qui lui faisait comme une double peau. Il portait une dague rangée dans un fourreau à sa ceinture plus une autre attachée à sa jambe. Il avait posé sur la table une capuche qui devait lui cacher le visage et était en train de préparer un liquide étrange à partir de différentes poudres.
L’humain, lui, était accompagné d’un petit animal avec des cornes et des flammes vertes qui sortaient de plusieurs endroits sur sa peau. Il était le seul à porter une robe et semblait compter des pierres rouge sang qu’il sortait d’une petite sacoche.
- Et bien, le nain est un guerrier et la naine semble faire partie d’un ordre de paladins. L’humain est un sorcier et l’elfe je ne sais pas.
- L’elfe est un voleur, l’humain est bien un sorcier, plus précisément un démoniste. Donc tu as repérés les deux nains, la seule différence entre eux c’est que les guerriers n’ont pas le même code d’honneur que les paladins qui sont, comme les prêtres, au service de la lumière. Pour les voleurs, c’est dur de savoir quand est-ce qu’ils vont te lâcher. Tu me diras, si j’avais la capacité de disparaître à volonté je pense que je ne me gênerai pas. Et le démoniste, comment dire… tu te souviens de la magie gangrénée dont je t’ai parlé ? Et bien eux, ils la maîtrisent pour asservir des démons. Par moment ça se retourne contre eux mais je crois que tant qu’ils restent raisonnables il n’y a pas trop de problèmes de corruption. Cependant, il n’empêche que les démonistes sont assez glauques. Bon tu as tout compris ?
- Oui mais j’ai deux questions, répondit Asnath en quittant les quatre aventuriers des yeux, tout d’abord comment sais-tu tout cela si tu n’as pas quitté Brume-Azur depuis que tu as atterri ? Ensuite, pourquoi m’expliques-tu à quoi m’attendre des autres si nous restons ensemble jusqu’à Theramore ?
Noem’Aeda s’étira puis se massa la nuque avant de répondre.
- Tout d’abord, parmi les multiples sorts que j’ai appris, il y avait un sort de téléportation pour Hurlevent que j’ai maîtrisé avant de connaître le sort pour revenir chez moi. J’ai passé plusieurs jours là-bas avant de réussir le sort de retour, j’en ai profité pour m’informer un peu. Et puis mon frère m’a envoyé beaucoup de courrier pour me tenir au courant, dans lequel il me racontait ces découvertes pour m’en faire profiter. Ensuite, si je t’explique tout cela c’est parce que, dans ce monde, tu seras forcement amenée à faire de nouvelles connaissances. Alors pour que tu te tiennes prête à toutes les éventualités je préfère te mettre au courant.
- Attends, attends, répliqua Asnath, tu viens de me dire que tu connais des sorts de téléportation ? Alors pourquoi tu ne te téléportes pas à Theramore tout de suite ?
- Et bien, euh… je ne connais pas le sort, avoua la draeneï, chaque ville nécessite une incantation particulière pour s’y rendre et mon maître ne connaissait pas celle pour l’île. Donc comme je ne souhaite pas finir perdue quelque part dans un vortex magique sans pouvoir en sortir, on va y aller à pied. Et maintenant au lit tout le monde ! Si on veut partir tôt demain je n’ai pas envie de devoir utiliser les grands moyens pour te réveiller. Je ne te connais pas depuis suffisamment longtemps pour me le permettre.
 

Chapitre Douze : Drôle de Trouvaille.

 
Noem’Aeda et Asnath partirent dès le lendemain et prirent la route du sud qui les mena jusqu’à Orneval. Après une brève escale à Astranaar pour acheter de quoi nourrir leurs montures quand elles quitteraient la région, l’humaine et la draeneï se dirigèrent vers les Tarides.
Cette région occupée depuis des années par la Horde était un vaste désert rocheux où presque rien ne poussait. La présence des animaux était due à la grande oasis au centre de la région qui recelait une végétation luxuriante, unique réservoir de vie dans toute cette étendue sèche et aride.
Lorsqu’elles arrivèrent dans cette contrée qui leur était hostile, après une semaine de voyage, Noem’Aeda décida de camper sur place afin de voir quel itinéraire la carte avait décidé de prendre et de prévoir leur voyage du lendemain.
- D’après la carte, il faudrait surtout éviter la Croisée, c’est un lieu très surveillé, déclara la mage en examinant le parchemin, il faut donc la contourner par l’est ou l’ouest. Tu as une préférence ?
- Qu’importe pour moi, du moment que l’on rejoint le marécage en un seul morceau, répondit Asnath en rassemblant quelques branches sèches, euh Noem’Aeda, tu peux s’il te plaît ?
L’intéressée fit un geste vague de la main sans lever les yeux de la carte et les branches s’embrasèrent. Asnath attacha les montures à un solide rocher puis déchargea la sienne et prit la seule marmite qui se trouvait dans les affaires de Noem’Aeda.
- Je vais essayer de trouver de l’eau pour faire cuire les légumes que tu as découverts en chemin. Je ne devrai pas en avoir pour longtemps. Dis, tu m’entends ?
La draeneï hocha vaguement la tête, elle était en train d’utiliser une brindille pour essayer de mesurer sur la carte lequel des deux chemins possibles était le plus court. Asnath haussa les épaules et partit en profitant que le soleil ne soit pas encore couché.
L’humaine chemina à travers les pierres pendant une dizaine de minutes, elle espérait trouver une petite source cachée entre les rochers pour remplir son récipient sans avoir à s’éloigner trop du campement. Enfin, au détour d’un sentier encaissé entre deux murs rocheux, Asnath entendit un clapotis.
Elle se dirigea vers le bruit et trouva une petite résurgence naturelle, le passage du liquide avait creusé un bassin de pierre et l’eau était limpide. Asnath en prit un peu dans le creux de ses mains et s’aspergea le visage pour se rafraichir. Elle plongea la marmite dans le bassin afin de la remplir, c’est alors qu’elle perçut le bruit d’une respiration rauque et étouffée derrière elle.
Se retournant précipitamment, l’humaine ne vit tout d’abord rien. Puis, en tendant l’oreille, elle comprit que le son venait de derrière un bloc de roche près du chemin. Se saisissant de la marmite comme arme de fortune et incantant un bouclier autour d’elle, Asnath avança vers l’origine du bruit. Prenant une profonde inspiration, elle se plaqua de l’autre côté du rocher, compta jusqu’à dix dans sa tête puis contourna brusquement l’obstacle. Ce qu’elle vit la rassura sur le champ. La créature qui se trouvait derrière le bloc de pierre était un gros chacal gravement blessé en train d’agoniser.
Ayant pitié de la pauvre bête, Asnath abattit la marmite sur le crâne de l’animal afin d’achever ses souffrances. A sa grande surprise celui-ci ne l’avait pas entendue arriver. Mais en frappant le chacal avec la marmite, l’humaine se rendit compte qu’il était déjà mort. Le souffle rauque qu’elle entendait venait de sous la carcasse de l’animal et elle vit alors le bras ensanglanté qui émergeait dessous.
Poussant de toutes ses forces le corps du chacal, Asnath parvint à dégager le blessé. Une fois celui-ci libéré du poids mort qui l’alourdissait, l’humaine réalisa qu’elle était en train de porter secours à un orc. Sa peau verte était grisée par la poussière mais Asnath ne put douter du peuple d’origine du blessé quand elle vit sa forte musculature et son visage marqué.
L’orc était dans un piteux état, une de ses jambes était brisée et il avait été sévèrement mordu. Asnath, en observant de plus près le mur rocheux au-dessus d’elle, put reconstituer le scénario qui avait mené l’orc dans un tel état. Il avait sans doute été attaqué par un groupe de chacals affamés, s’était battu et était tombé dans le vide en emportant avec lui un de ses assaillants, sans doute le dernier encore en vie puisque les autres n’étaient pas venus l’achever.
Asnath se retrouva face à un dilemme. Elle pouvait sauver l’orc, mais lui et elle faisaient partie de deux factions rivales, cela comptait-il comme une trahison ? Cependant, elle n’avait ni l’envie, ni la volonté suffisante pour achever quelqu’un à coup de marmite alors que cette personne ne lui avait rien fait. La prêtresse s’occupa donc de stopper les diverses hémorragies dont souffrait le blessé puis referma les blessures en veillant à soigner toutes les lésions internes qu’avaient engendrées les crocs des chacals.

Asnath essaya ensuite de le déplacer pour pouvoir réparer sa jambe mais elle n’avait pas la force nécessaire pour réussir à bouger une telle masse de muscles. Elle avait d’abord espéré pouvoir le soigner totalement et le laisser sur place pour qu’il se réveille seul quand elle serait partie. Mais là, il lui faudrait sans doute des soins pendant la nuit pour éviter que son état ne s’aggrave. Elle devait donc trouver un moyen de le transporter. C’est alors qu’elle se souvint d’un sort de lévitation dont elle avait trouvé le parchemin lorsqu’elle était plus jeune. Ce sort lui avait permis de grimper dans les arbres plus facilement quand elle jouait avec Omundron.

Essayant de se remémorer les paroles exactes, Asnath plaça ses mains au dessus de l’orc inanimé et récita l’incantation. Doucement, le corps du blessé s’éleva à un mètre du sol ce qui permit à la prêtresse de pouvoir le bouger facilement. Attrapant un morceau du vêtement de l’orc dans une main, la marmite qu’elle avait remplie à nouveau de l’autre, Asnath se mit en route pour retourner au campement, emmenant avec elle son étrange découverte.