Des larmes de chagrin et de rage de se voir si impuissante coulaient sur le visage de l’humaine, ses yeux verts, brillant d’une haine contenue, fixés sur le précipice où était tombé le draconide. La mère supérieure se doutait que si elle avait pu ramener le reptile à la vie, Asnath l’aurait fait juste dans le but de pouvoir le tuer encore et encore.

Reïna posa sa main ensanglantée sur la joue de sa protégée, la forçant à la regarder dans les yeux. Le regard lumineux plein de douceur croisa les yeux émeraude dans lesquels flambait une énergie que la mère supérieure n’avait jamais vue. Un soubresaut la secoua alors que la vie quittait peu à peu son corps sous la forme du liquide sombre qui s’écoulait de sa plaie. C’est alors qu’elle entendit ce qu’Asnath murmurait.

- Je trouverai le responsable, je te le promets Reïna. Et je lui ferai payer pour…

- Chut…, la coupa l’elfe agonisante, ne dit jamais… ce genre de choses. J’ai vécu la…  la troisième guerre et… bien d’autres avant celle-ci…  et je peux te dire que la vengeance… la vengeance ne mettra…  en aucun cas… fin à ton chagrin ni… ni à ta souffrance.

Asnath acquiesça en essuyant ses larmes du revers de la manche, elle ne voulait pas blesser la mourante en discutant ses dernières paroles.

- Mais que vais-je faire maintenant ? D’abord Omundron et maintenant toi. Pourquoi tout le monde désire-t-il m’abandonner ? Pourquoi n’ai-je pas le pouvoir de faire en sorte de ne plus être seule, de garder ceux que j’aime à mes côtés ? Pourquoi ne puis-je pas sauver ceux dont je me sens responsable ? Pourquoi suis-je aussi vulnérable ?

Elle avait crié ces derniers mots qui résonnèrent dans la sylve toujours aussi silencieuse. Le soleil disparaissait à l’horizon et avec lui toutes les illusions qui avaient longtemps bercé le cœur d’Asnath. L’avenir ne se dessinait plus devant ses jeunes yeux et elle avait l’impression qu’à cet instant, quelque chose venait de se briser au plus profond d’elle-même.

Un pâle sourire se forma sur les lèvres de Reïna en entendant les paroles de l’enfant qu’elle avait recueillie par une nuit pluvieuse.

- Asnath, si tu savais…  si tu pouvais te rendre compte…

- Me rendre compte de quoi ?

- Te rendre compte…  d’à quel point tu peux ressembler à ton défunt père…

Asnath se raidit, ce n’était pourtant pas la première fois que la mère supérieure faisait allusion au père disparu de la jeune fille. Souvent même elle avait entendu cette remarque dans la bouche de sa protectrice, toujours teinté  d’une pointe de tristesse et d’amertume.

- Reïna, murmura l’humaine à l’oreille de l’elfe, Reïna je t’en supplie dis le moi. Il est temps pour moi de savoir. Dis-moi qui ils étaient. Qui étaient mes parents ?

Un léger soubresaut agita la poitrine tachée de sang de l’elfe, Asnath pu lire dans ses yeux que sa mère adoptive ne voulait pas lui avouer la vérité. Elle comprit que Reïna avait peur qu’une fois qu’elle saurait qui étaient ses parents, la jeune humaine ne l’oublie à jamais.

- Tu as toujours été  celle qui m’a le plus aimée, la rassura-t-elle, ne t’inquiète pas qui qu’aient été mes parents tu auras toujours la même valeur pour moi. Mais je dois le savoir. S’il te plaît.

- Le soir où tu es arrivée… il n’y avait que … que ta mère…commença Reïna en respirant avec peine, c’était une… grande amie… je les connaissais tous… tous les deux elle et… ton père… elle n’a… pas eu besoin d’en dire plus…

Une quinte de toux l’interrompit. Lorsque celle-ci s’acheva, Asnath remarqua le filet de sang qui coulait de la bouche de Reïna, la pauvre gardienne du couvent n’en avait plus pour longtemps. Mais la jeune humaine devait savoir, pire, elle le voulait.

- Qui est-ce Reïna ?

L’elfe fit signe à  Asnath de s’approcher et murmura au creux de son oreille, dans un dernier soupir, le secret qu’elle avait porté pendant vingt ans.

Les sœurs du couvent des Murmures Brisés retrouvèrent Asnath des heures plus tard, immobile, tenant dans ses bras le corps sans vie de Reïna, des larmes ruisselant sur son visage et ses yeux regardant le vide. 

Chapitre Six : Départ pour l’inconnu. 

Reïna fut enterrée trois jours plus tard, après la veillée funèbre où Asnath resta éveillée au chevet de sa mère adoptive. Puis une nouvelle mère supérieure fut désignée, il s’agissait de la sœur qui avait toujours conseillé  et épaulé Reïna. Asnath pensait que c’était en effet le choix le plus judicieux, cette sœur était de loin la plus qualifiée pour gérer le couvent, les Murmures Brisés continueraient à exister, hors du temps et de l’espace.

Le jour de l’investiture de la nouvelle mère supérieure, Asnath vint la voir sur le balcon qui surplombait la mer.

- Tu as demandé à  me parler Asnath ? demanda l’elfe, que se passe-t-il ?

- Je m’en vais, dit l’humaine dans un souffle.

La mère supérieure se retourna et fixa les yeux verts de la protégée de sa prédécesseur. On y lisait une profonde tristesse et, plus profondément, une détermination nouvelle.

- Tu es sûre de ton choix, jeune humaine ?

- Oui, répondit Asnath, d’ailleurs j’aurais du le faire il y a bien longtemps. Les Murmures Brisés sont fait pour évoluer parallèlement au monde, pas avec lui et pas à cause de lui. En restant ici j’ai causé par ma seule présence la mort de deux des vôtres.

- Asnath, ne parle pas comme ça, tu es ici chez toi !

- C’est ce que je croyais aussi, répliqua cette dernière avec lassitude, mais maintenant je sais que ce n’est pas le cas. Ma place n’est pas ici, je ne sais pas où elle est, cependant… le seul but de ma vie était de rester vivre ici à suivre la voie de la lumière avec Reïna. Désormais je dois trouver un nouvel objectif à mon existence et ce n’est pas là où mon avenir s’est déchiré  sous mes yeux que je peux le faire.

- Tu penses que rechercher tes parents est une meilleure solution ? Asnath, tu sais aussi bien que moi que le passé t’effraie. La vérité n’est pas forcement bonne à savoir.

La mère supérieure vit que l’humaine ne la regardait pas, elle regardait derrière, vers la mer. Alors elle comprit, si Asnath n’était jamais partie c’était parce qu’elle pensait vraiment que le couvent était son avenir, avec Omundron et Reïna. Maintenant que ni l’un ni l’autre n’y  était plus, l’humaine ressentait pour la première fois à quelle point l’absence d’identité lui était douloureuse. Humaine au milieu des elfes, étincelle éphémère parmi les lumières immortelles.

- Oui, répondit Asnath, et même si cela doit m’en coûter, je ne laisserai pas mes origines détruire ce que j’ai mis tant de temps à acquérir. En connaissant mon passé, je ne le laisserai pas entacher mon futur. Mon initiation en tant que prêtresse est achevée depuis longtemps, je n’ai rien à gagner en restant ici et vous, vous avez tout à perdre.

- Quand nous quittes-tu ?

- Dès que je sortirai de cette pièce.

La réponse tomba, simple et pourtant chargée de tellement de significations. La mère supérieure dévisagea Asnath et se dit que le couvent serait bien monotone sans la petite humaine pour venir contraster avec toutes les elfes qui se trouvaient là. Elle finit cependant par acquiescer.

- Très bien, soupira-t-elle, saches seulement que, si jamais tes pas te ramènent ici, la porte sera toujours ouverte et ta place parmi nous ne sera jamais contestée. Nous prierons pour que ta quête trouve son achèvement et pour que jamais tu ne t’égare devant les multiples choix qui s’offriront à toi.

- Je vous remercie ma mère. Quant à moi je tâcherai du mieux que je pourrai de ne pas faillir à l’enseignement qui m’a été transmis dans ce lieu.

- Qu’Elune éclaire encore longtemps ton chemin, Asnath.

La jeune humaine franchit la porte, et ce ne fut qu’une fois sortie qu’elle répondit au silence.

- J’ai bien peur, ma mère, qu’elle ne l’a jamais éclairé.

Asnath se dirigea vers les écuries d’un pas décidé, elle avait déjà préparé  le cheval qu’Omundron avait laissé pour elle. Elle avait pris la décision de ne plus jamais revenir au couvent et même de quitter Teldrassil pour toujours. Elle comptait prendre le premier bateau pour les Royaumes de l’Est et rejoindre l’endroit d’où elle venait. En chemin, elle voulait apprendre tout ce qui lui serait possible sur Azeroth et ce qui s’y était passé depuis des années. Asnath monta en selle et fit avancer son cheval sur le chemin qui menait à Darnassus, la capitale elfique.

Désormais seule face à  l’inconnu, elle ne ressentait plus aucune peur, seulement un sentiment d’abandon, de solitude et de rancœur.