Prologue :

Le temps est un univers à part que seuls les dragons du Vol de Bronze connaissent et maîtrisent. Et puisque le temps n’est pas linéaire, les actions futures peuvent toujours venir interférer avec le passé. Bien que les dragons soient là pour que ce qui doit être soit, les mortels sont toujours suffisamment imprévisibles pour que la destiné du monde se joue sur le choix du plus simple des soldats. Ce récit est celui d’une aventure qui aurait pu se dérouler ou pas, tout reposa un jour sur la décision d’un elfe meurtri.

Cette histoire commence par une nuit noire, quelque temps après que les efforts conjoints des Orcs de Thrall, des humains emmenés par Jaina et des Elfes de la nuit sous la direction de Tyrande et de Malfurion, soient parvenus à défaire les plans d’Archimonde au pied de l’Arbre-Monde.

Sous la pluie battante, une silhouette se découpe dans l’obscurité de la forêt de Teldrassil. Les gouttes ruissèlent sur sa capuche et dégoulinent sur son visage. Devant ses yeux se trouve son but, un petit couvent caché dans les ombres de la sylve. L’ombre se dépêche, serrant contre elle un morceau de sa cape, de rejoindre les bâtiments puis elle frappe à la porte. Un judas s’ouvre et la pauvre forme trempée voit les yeux brillants d’une elfe qui la fixent.

La porte s’ouvre, éclairant la jeune femme emmitouflée dans sa cape qui recouvre tout son corps et qui se précipite à l’abri des intempéries. La jeune sœur qui lui avait ouvert la porte ouvre de grands yeux en voyant ce que la femme tient dans ses bras et part chercher la mère supérieure.

Une heure plus tard, la même porte s’ouvre dans la nuit, la pluie n’a pas cessé. La jeune femme en ressort, suivie par la supérieure du couvent qui lui adresse la parole avant que celle-ci ne s’en aille.

- Que lui dirons-nous à propos de ses parents ? demanda-t-elle doucement.

- Qu’ils sont morts, dit la jeune femme en contemplant la nuit, d’ailleurs ce ne sera pas lui cacher la vérité… pas vraiment.

Une larme coule en silence sur sa joue, elle jette un dernier regard derrière elle puis disparait dans la nuit. La mère supérieure referme la porte derrière elle, enfermant avec elle dans le silence du couvent l’enfant abandonné ce soir là.

 

 

 

Chapitre Un : Un étranger.

Vingt ans s’étaient écoulés depuis que la mère supérieure du Couvent des Murmures Brisés avait ouvert la porte à la jeune mère un soir pluvieux. Alors arriva un jour au couvent un étranger aux cheveux noirs corbeaux, vêtu de sombres atours. Asnath se souviendrait à jamais de ce jour, celui qui allait bouleverser son existence.

Depuis son arrivée au couvent, elle n’avait jamais vu le monde extérieur que grâce aux livres et aux gravures qui s’y trouvaient mais pas une fois elle n’avait eu envie de le visiter, enfin elle essayait de s’en convaincre. Elle se trouvait trop bien au couvent où sa vie était rythmée entre la méditation et les leçons que lui prodiguait la mère supérieure, celle qui avait été sa mère adoptive.

Asnath savait qu’elle n’était pas sa fille, et pour cause elle était humaine, et elle savait qu’elle venait de l’extérieur, bien au-delà des terres des Elfes. Le couvent était un lieu hors du temps, ce qui se passait ailleurs ne parvenait jamais aux oreilles des sœurs et Asnath n’avait qu’une très vague idée de l’histoire d’Azeroth. On racontait au couvent que le monde était en guerre depuis toujours, alors Asnath craignait de devoir un jour quitter le couvent. Elle avait entendu dire qu’il existait des légions de héros ressuscités qui détruisaient tout sur leur passage et qui avaient réduit à néant plusieurs royaumes et forcés des peuples entiers à s’exiler. Mais lorsqu’elle s’était levée ce matin-là, elle n’avait pas peur de l’avenir qui, dans son idée, se limiterait aux Murmures Brisés pour le reste de sa vie.

Asnath était des plus impatientes car elle avait décidé que ce jour-là elle maîtriserait le sort le plus puissant qu’un serviteur d’Elune puisse utiliser. C’est pour cela qu’elle avait demandé à Reïna, sa mère de cœur, de lui donner sa leçon le matin. C’était ce qu’elle faisait lorsque l’inconnu venu de l’extérieur était arrivé.

Assise à genoux sur le sol de la grande salle, Asnath écoutait en se concentrant les conseils de la mère supérieure, elle voulait réussir aujourd’hui et aujourd'hui seulement. Se laissant emporter par la voix de Reïna, elle se retira au plus profond d’elle-même, cherchant à invoquer la lumière en elle, pas seulement pour la canaliser mais tout simplement pour se fondre avec Elle. Récitant l’invocation avec toute la force de son âme, elle voulait enfin atteindre cet état où la puissance sacrée se trouvait décuplée au point que rien ne pouvait lui résister, pas même la plus sombre des magies.

Enfin Asnath senti que son esprit ne contrôlait plus complètement son corps puis elle ressentit le contact piquant des écharpes de lumière pure s’enroulant autour de ses bras. Elle essaya de rester concentrée mais c’est alors qu’elle entendit un objet lourd tomber derrière elle et ne put s’empêcher d’ouvrir les yeux.

Sur le seuil de la porte se trouvait un humain aux cheveux d’un noir corbeau et à ses pieds un des lourds grimoires qui se trouvait sur les étagères. Ce livre avait une valeur inestimable et pourtant l’étranger ne semblait pas gêné du tout de l’avoir fait chuter. Reïna fit signe à sa protégée de ne pas avancer et se dirigea vers l’homme qui fixait Asnath de ses yeux aux prunelles couleur des pierres de lune. La jeune humaine se leva et, en jetant un œil derrière elle, s’éloigna vers une des portes menant sur le cloître.

 

Chapitre Deux : Omundron.

Une fois sortie de la salle, Asnath décida de regagner sa chambre dans le dortoir des sœurs des Murmures Brisées. Plongée dans ses pensées elle ne regarda pas devant elle et percuta de plein fouet un elfe qui se dirigeait dans l’autre sens. Elle tomba à terre et marmonna à l’intrus qu’il aurait pu regarder devant lui.

- Tellement dans ses pensées qu’elle est incapable de se rendre compte qu’elle est en tort, répliqua ce dernier sur un ton sarcastique où pointait l’amusement.

- Oui et bien excusez moi seigneur, mais certains sont plus préoccupés que d’autres, lança Asnath en se relevant.

- Préoccupés au point de ne plus reconnaître sa famille ?

L’humaine leva la tête et un sourire éclaira son visage, devant elle se tenait un grand elfe habillé d’une longue robe verte couleur feuillage, un bâton de marche accroché dans le dos, des ramures de cervidé sur ses épaules. A l’évidence un druide comme il s’en trouvait beaucoup sur les terres elfiques.

Mais celui-là, Asnath le connaissait particulièrement, ses longs cheveux verts foncés tombaient dans son dos et sa peau avait toujours la même couleur vert-de-gris que dans ses souvenirs. C’est pourquoi elle se jeta dans ses bras.

- Omundron ! Désolée, désolée, je n’en crois pas que je ne t’ai pas reconnu. Mais si tu savais ce qui vient de se passer, je trouve ça très étrange. Et pourquoi est-ce que tu ne m’as pas dit que tu revenais, je n’aurais pas été si étonnée. D’ailleurs pourquoi est-ce que tu reviens tu n’étais pas partir pour suivre la voie des druides ? Et puis, et puis…

- Stop, la coupa l’elfe en la repoussant gentiment, dis moi Asnath je ne comprends pas qu’en posant autant de questions tu puisses refuser d’aller voir le monde au-delà du couvent.

- Je te l’ai déjà dit, répondit la jeune femme en haussant les épaules, j’ai peur de voir d’autres humains qui soient trop différents de moi. Au moins ici je sais qui je suis et ce que je dois être. Là-bas je n’ai aucune idée de ce qui m’attend, les livres ne suffisent pas à connaître l’inconnu. Mais tu n’as pas répondu à ma question, pourquoi est-ce que tu es là ?

- Si tu me laissais parler je te le dirais. Viens à l’écurie, j’ai quelqu’un à te présenter.

Asnath suivit Omundron avec plaisir vers l’endroit où se reposaient les tigres, montures traditionnelles des Elfes de la nuit. L’elfe était pour ainsi dire le frère d’Asnath. Lui aussi orphelin, ses parents étaient morts longtemps auparavant, il avait passé toute son enfance, c'est-à-dire le premier siècle de sa vie, aux Murmures Brisés. Lorsqu’Asnath était arrivée, il l’avait tout de suite prise sous son aile et entre eux était né un véritable amour fraternel.

Cependant, lorsqu’Omundron avait décidé de suivre la voie druidique il avait du partir et Asnath s’était retrouvée seule. Trois ans s’étaient alors écoulés avant que l’elfe ne puisse revenir et l’humaine s’en voulait de ne pas l’avoir reconnu immédiatement alors que lui l’avait tout de suite retrouvée dans le couvent. Pourtant c’étaient les Humains qui changeaient le plus, pas les Elfes.

Une fois arrivés, Asnath vit que son frère adoptif n’était pas venu seul. Une magnifique elfe sortait à ce moment des écuries. Sans doute une chasseresse car elle était suivie par un loup imposant et portait un arc en bandoulière. Ses cheveux bleus nuit attachés en une élégante tresse tombaient jusqu'au bas de son dos et les marques sur son visage semblaient former le dessin des ailes d’un oiseau. Elle se dirigea d’une démarche fluide vers Asnath et Omundron.

- Elune soit avec toi, salua-t-elle l’humaine, tu dois être Asnath la petite humaine si chère à Omundron.

- C’est bien moi, en revanche je n’ai pas la chance de te connaître, chasseresse.

- Asnath, commença Omundron, je te présente ma fiancée, Tassanya.

- Ta fiancée ? s’exclama Asnath, depuis quand as-tu une fiancée sans m’en parler ? Je t’écoute.

Une pointe de jalousie transperça le cœur de la jeune humaine. Si Omundron avait trouvé une compagne pour passer l’éternité ou presque avec, cela voulait dire qu’Asnath ne serait plus sa petite protégée. Et puis elle se dit que s’il avait des enfants par la suite, ce serait elle qui les protègerait quand leurs parents seraient en train de découvrir le monde, cela lui réchauffa un peu le cœur.

- Asnath, je ne suis pas rentré depuis trois ans, comment voulais-tu que je te prévienne ? J’ai rencontrée Tassanya dans des circonstances fâcheuses pour moi. J’étais en train de m’aventurer dans des ruines de notre peuple qui avaient une aura étrange que je souhaitais étudier. Là, je suis tombé dans une embuscade tendue par le peuple de harpies qui a élu domicile là-bas. J’ai réussi à m’enfuir de justesse mais, gravement blessé, je n’ai pas pu rejoindre le village le plus proche et je me suis effondré au sol. C’est Araj, le loup de Tassanya, qui m’a trouvé étendu dans mon sang et l’a conduite à moi. Elle a réussi à me sauver grâce à ses quelques bases en secourisme puis m’a ramené à la ville où un soigneur s’est occupé de moi pendant deux jours. A mon réveil, j’avais un ange qui me regardait dans les yeux et veillait sur moi. Je ne sais pas pourquoi mais Tassanya est restée ce jour-là, depuis tout ce que nous faisons, nous le faisons ensemble. Je suis donc venu te la présenter avant que nous partions pour les Royaumes de l’Est.

- Vous allez faire la traversée de la Grande Mer ?

Asnath n’en croyait pas ses oreilles, en plus de lui annoncer qu’il unirait bientôt sa vie à quelqu’un qu’elle venait de découvrir, son plus fidèle confident venait de lui dire qu’il partait vers l’autre continent.

- Asnath, lui répondit gentiment Omundron, je ne veux pas te vexer mais nous l’avons déjà faite plusieurs fois la traversée, les plus grandes cités de l’Alliance se trouvent là-bas.

C’est à ce moment qu’Araj commença à grogner de plus en plus bruyamment. Tassanya s’approcha de lui et tenta de le calmer, en vain.

- Je ne sais pas ce qui lui arrive, dit la chasseresse en regardant son compagnon, je vais l’emmener chasser un peu dans le bois pour voir s’il a faim.

Sur ce l’elfe s’éloigna, suivie par son gros loup gris qui maintenant semblait presque apeuré. Le druide et l’humaine les regardèrent s’en aller en silence.

- Je suis contente pour toi, commença Asnath.

- Merci, répondit simplement Omundron.

- J’espère que vous reviendrez me voir de temps en temps.

Asnath se sentait meurtrie au plus profond d’elle-même, comme si son frère adoptif lui annonçait une deuxième fois qu’ils ne se reverraient presque plus.

- Asnath…, murmura ce dernier, en réalité si nous sommes venus ce n’est pas juste pour que tu rencontres Tassanya.

- Ah bon, répliqua tristement l’humaine.

- Oui, en vérité… je voulais… te proposer de partir avec nous.

Asnath leva les yeux vers l’elfe, étonnée par cette proposition, Omundron savait pourtant que l’idée de rencontrer d’autres humains et de ne pas sentir à sa place parmi eux la terrifiait. Mais elle comprenait pourquoi il lui demandait de venir, Omundron ne supportait pas de la voir souffrir à cause de son absence.

- Omundron, commença-t-elle, c’est gentil de ta part de vouloir m’emmener pour que je reste avec toi.

- Mais…

- Mais je ne peux pas. Ma place est ici, si on m’a abandonnée ici et pas dans n’importe quel orphelinat c’est parce qu’on ne voulait pas que j’existe. Si je suis vivante je pense déjà que c’est un miracle, ce couvent devait être le meilleur moyen de me laisser la vie sauve tout en s’assurant que jamais je ne reviendrai parmi les miens. Alors si personne à l’extérieur ne veut que j’existe, je pense qu’il est mieux que je reste ici. Si je dois souffrir pour que le monde puisse garder la paix, alors je le ferai. Mieux vaut le sacrifice d’une vie plutôt que celui de centaines d’autres.

Le visage d’Omundron s’affaissa, Asnath savait qu’il pensait qu’elle accepterait. Mais sa décision elle l’avait prise des années auparavant et malgré le fait que la tentation soit grande, tant qu’elle aurait une attache dans le couvent, elle resterait. Tant que Reïna serait là, elle serait avec elle. Tassanya revint à ce moment là, suivie d’Araj qui tenait un lapin entre ses crocs.

Ils parlèrent quelques heures, mais le cœur n’y était plus. Asnath et Omundron ne s’échangeaient que quelques mots et c’est Tassanya qui fit toute la conversation. Racontant ce qu’Asnath aurait voulu entendre de la bouche du druide.

- Quand partez-vous ? demanda Asnath faiblement.

- Dès que les tigres auront mangé et bu. Nous n’avions pas prévu de rester longtemps.

- D’accord, alors je pense qu’il est temps de nous dire au revoir, à nouveau.

La jeune humaine salua Tassanya, puis se réfugia dans les bras d’Omundron. Elle s’écarta ensuite pour qu’il ne voit pas le sillon humide qu’une larme avait tracé sur sa joue et s’en retourna vers le couvent. Elle entendit alors celui qu’elle appelait son frère l’appeler.

- Asnath !

L’interpellée se retourna pour voir les deux elfes en selles, Omundron désignant un cheval dans l’écurie.

- On l’avait amené pour toi. Si jamais tu changes d’avis, on prendra le bateau à Auberdine puis on restera quelques temps à Hurlevent. Ensuite on remontera vers le nord. Puissent nos chemins se croiser de nouveau.

- Puisse le tien être plus heureux que le mien, répondit Asnath à mi-voix afin qu’il ne l’entende pas.

Les deux elfes s’en allèrent laissant seule l’humaine qui, pour la première fois de sa vie, sentait qu’ils n’appartenaient pas au même peuple.