- Veille sur toi, s’il te plaît, commença la démoniste, et souviens-toi que les morts se cachent aussi sous terre.

- Tu vas m’manquer aussi, la furie, répondit Zoorz en lui souriant, essaie de r’venir vivante. J’aim’rais vivre d’autres batailles avec toi. Et pour c’qu’y est d’moi t’inquiète. J’ai vécu seize ans sans toi, j’en suis pas mort… pas encore en tout cas.

- Je compte bien revenir gâcher ton existence, répliqua Ellécnite avant de reprendre son sérieux, au revoir mon ami. Nous nous reverrons, j’en suis sûre.

Cet au revoir sonnait comme un adieu, et tous le savaient. Le maigre sourire de la démoniste ne faisait que le confirmer un peu plus. Lorsque vint le tour d’Asnath, la jeune femme s’avança d’un pas réticent, chaque instant la rapprochant plus de la séparation.

- Merci, gamine, déclara le nain avant qu’elle n’ait pu parler.

- A quel propos ? demanda la prêtresse, prise au dépourvu.

- A propos d’l’aventure dans laquelle tu nous as embarqués. Si t’avais pas voulu sauver ton frère, j’aurai fait mon voyage jusqu’à la Chapelle seul et j’serai r’venu. Mais c’tait bien plus drôle avec vous. Et puis, j’vais aller voir c’fameux tournoi. On va voir si l’spectacle est sympa là-bas. Mais toi…

Le guerrier attrapa les bras d’Asnath, plongea son regard dans les yeux de la jeune femme et la fixa un moment sans rien dire.

- Fais pas d’zèle. Dès qu’vous avez les r’liques, où qu’vous soyez, mettez vous en lieu sûr. Tu vois c’que j’veux dire ?

La prêtresse acquiesça et se déroba de l’emprise de Zoorz qui poursuivit ses adieux auprès de leurs autres compagnons.

Ce furent les désormais cinq compagnons qui partirent les premiers sur la route qui menait à la Côte Oubliée. Naarok avait tenu, avant de partir, à offrir à Asnath une amulette en bois sculpté.

- C’est un bijou que mon peuple à coutume d’offrir, avait-il expliqué, à quelqu’un nous a sauvé la vie. Cette figurine montrera à n’importe quel orc que tu as sauvé un des nôtres. Cela pourra toujours te servir.

- Les tiens vont dire que je l’ai volée, avait répondu la prêtresse.

- Non, avait sourit le chaman, aucun orc ne se laissera voler ce genre d’objet. Il le détruira avant de mourir s’il le faut.

Aussi la jeune femme avait-elle accepté le cadeau de Naarok qu’elle avait alors rangé dans une de ses poches. Tandis qu’elle s’éloignait sur la route avec ses compagnons, elle en caressait les contours du bout du doigt pour se calmer. Malgré la distance qui les séparait, la prêtresse parvenait à sentir le poids du regard du Traqueur dans son dos. Le réprouvé n’avait cessé de la dévisager durant tout le voyage, la terrifiant tellement qu’elle en était devenue paranoïaque. Dans son regard à la lueur malsaine, Asnath avait toute la haine qu’elle lui inspirait et, une fois, avait-elle cru lire une sorte de crainte ressurgie d’un lointain passé.

Le changement entre les Grisonnes et la Désolation fut radical. Les forêts de sapins et le sol rouge des aiguilles sèches firent place à d’immenses pleines recouvertes d’un tapis épais de neige qui assourdissait tous les bruits. Le froid se fit plus mordant et même les épais vêtements de fourrures ne parvenaient pas à couper protéger les voyageurs de cet ennemi aussi mortel que sournois. Il fut donc rapidement décidé qu’Ellécnite chevaucherait au centre du groupe afin que la chaleur de sa monture puisse permettre aux autres chevaux de survivre.

Comme Chailel le leur avait annoncé, la Côte Oubliée, lieu où les morts-vivants du Fléau accosteraient le plus probablement, n’était qu’à une demi-journée de marche de la frontière avec les Grisonnes. Le petit groupe fut donc sur place avant la nuit et chacun put contempler le paysage macabre qui était celui de la plage.

Cet endroit avait été autrefois le lieu d’accostage de la flotte humaine lors de l’expédition du prince Arthas en Norfendre. Désormais ne subsistait plus du campement que des ruines laissées à l’abandon depuis longtemps et dans lesquelles le vent s’engouffrait et se muait en hurlement sinistres. Le doux ressac de l’océan ne parvenait pas à dissiper la sensation de pesanteur qui s’abattait sur ceux dont le regard se portait sur ce lieu où tant avaient perdu la vie. Le froid ne semblait que plus vif à chaque instant et Asnath sentit bientôt sa tête devenir douloureuse.

Bien que la douleur n’atteignît pas le degré de celle qu’elle avait ressentie à Stratholme, la prêtresse avait de nouveau l’impression de percevoir un vrombissement dans l’atmosphère. Son malaise s’accrut encore lorsqu’ils prirent la décision de rechercher d’éventuelles preuves de l’arrivée des morts-vivants. Alors que la jeune femme et ses compagnons erraient à travers les bâtiments en ruines soudain l’impression d’être observée de tous les côtés. Cependant, à chaque fois qu’elle tournait la tête dans une direction, les silhouettes qu’elle percevait à l’extrémité de son champ de vision semblaient se désagréger comme des volutes de fumée.

Finalement, quand les cinq compagnons eurent ratissé la zone durant la fin de la journée sans rien trouver qui put indiquer le passage d’un détachement de quelque type qu’il soit, Asnath insista pour qu’ils dressent le camp à l’écart de la Côte. Les premiers jours, cette demande ne rencontra aucune opposition, cependant, dès qu’ils eurent atteint l’ouest de la zone, Noem’Aeda refusa de monter le camp en dehors de la côte.

- Je suis désolée Asnath, déclara la draeneï, mais nous ne pouvons plus nous permettre de passer la nuit plus au nord. Regarde, ajouta-t-elle en sortant sa carte, si nous montons le camp au nord-ouest d’ici, sur les hauteurs, nous serons entre Vexevenin et la Nouvelle-Âtreval. Ne me demande pas de choisir entre les Réprouvés et ces fous-furieux de croisés écarlates, je préfère passer mes nuits ici.

Tous acceptèrent les explications de la mage et ce fut à grand peine qu’Asnath parvint à s’endormir cette nuit là et celles qui suivirent. Deux autres jours passèrent sans qu’une seule embarcation ne paraisse à l’horizon.

A chaque jour d’attente qui passa, l’absence de Zoorz se fit ressentir un peu plus et la tension ambiante mit les nerfs de chacun à rude épreuve. Même Noem’Aeda et Nathaël avaient cessé leurs querelles incessantes et Ellécnite était anormalement silencieuse. Etrangement, seul Omundron ne semblait pas affecté par le changement général de comportement.

Lors de leur sixième soir passé sur la Côte Oubliée, Asnath le vit arriver dans sa tente. Le vent s’était levé pendant l’après-midi, les empêchant de scruter la mer qui commençait à s’agiter de plus en plus violemment. Ellécnite avait finalement décidé qu’ils devaient déplacer le camp, malgré les oppositions de Noem’Aeda, au risque de le voir balayé par les rafales venues de l’océan. Ils avaient finalement convenu qu’il leur fallait bouger avaient essayé de parcourir le plus de chemin dans les terres pour se mettre à l’abri des ennemis potentiels qui pouvaient tenter de les attaquer.

Omundron vint voir sa sœur ce soir-là. La jeune femme, enroulée dans sa couverture de fourrure, tentait de trouver le sommeil en écoutant le vent hurler à l’extérieur. L’elfe s’assit au sol et posa une main sur la prêtresse, dans un geste empreint de douceur qui ne manqua pas de rappeler à Asnath ceux de Reïna.

- A quoi penses-tu ? demanda le druide en posant son regard brillant sur sa sœur.

- Je… je me demande si… nous ne sommes pas arrivés trop tard.

- Pardon ? s’étonna Omundron en laissant retomber sa main.

- J’ai… le sentiment… qu’ils sont déjà passés, poursuivit Asnath.

- Qu’est-ce qui te fais penser cela ?

- Les fantômes… ils ont l’air… perturbés.

- Tu es parvenue à les voir ?

La jeune femme hocha la tête sous sa couverture et se redressa pour faire face à son frère avant de poursuivre.

- Il m’a fallut quelques jours pour comprendre que ces silhouettes que j’apercevais n’étaient pas le fruit de mon imagination. Je ne sais pas ce qu’ils veulent dire mais dès que nous mettons les pieds sur la côte, ils apparaissent et se pressent autour de nous. Je n’arrête pas d’imaginer ce qu’ils peuvent vouloir me raconter et plus j’y pense, plus je trouve étonnant que les troupes du Fléau n’ait pas encore débarqué. J’ai l’impression que nous sommes en retard.

Cette idée terrifiait Asnath bien plus qu’elle n’aurait osé l’avouer à Omundron. Si les morts-vivants avaient débarqués avant que le groupe n’atteigne la Côte, cela signifiait qu’ils avaient gagné six jours d’avance en plus de celle qu’ils avaient déjà. Dans une telle course contre le temps, la moindre journée pouvait se révéler cruciale.

- Nous en reparlerons demain, la rassura le druide. Maintenant, je t’en prie, essaie de dormir. Je prendrai ton tour de garde pour que tu puisses te reposer.

- Non, je… voulut répliquer la prêtresse.

- Chut, fit son frère en posant un doigt sur ses lèvres pour la faire taire, dors maintenant.

Il murmura ensuite une incantation aux airs de berceuse qui eut tôt fait de plonger la jeune femme dans un sommeil sans rêve dont elle n’émergea que le lendemain matin. Lorsqu’elle quitta sa tente, Asnath tomba immédiatement sur Noem’Aeda qui sellait sa monture.

- J’aurais préféré que tu nous informes plus tôt de tes doutes, marmonna la mage, mais mieux vaut tard que jamais.

- Je ne te comprends pas, intervint la prêtresse avant que son amie ne continue sa tirade, vous informer de mes doutes à quel sujet ?

- Tu sais très bien de quoi je parle ! s’emporta la draeneï en accrochant son sac à sa selle, Omundron m’a parlé ce matin de ton sentiment à propos du passage des morts-vivants ! Pour te prouver qu’il n’y avait pas à s’inquiéter, j’ai lancé un sortilège pour détecter la trace d’objets dont la puissance équivaudrait à celle des Reliques dérobées et sais-tu ce que j’ai trouvé ?

Asnath secoua la tête et son air troublé du apparaître à la mage car celle-ci abandonna aussitôt son ton furieux. Son visage si lisse s’affaissa tandis qu’elle se laissait tomber à terre.

- Tu avais raison, murmura Noem’Aeda en se tenant la tête, j’ai trouvé une trace magique qui part vers le nord-ouest. Apparemment ils ne se sont pas s’embarrassés d’un détour par Naxxramas. Ils filent vers la Forêt du Chant de Cristal.

La draeneï poussa un profond soupir et se tourna vers la prêtresse qui s’était agenouillée à ses côtés. Ses yeux de perle reflétaient un profond sentiment de culpabilité.

- J’ai été stupide, Asnath. J’aurai du faire cette vérification dès que nous sommes arrivés…

- Nous l’avons tous été, Noem’Aeda. Nous étions tellement sûrs que nous arrivions avant eux que nous n’avons pas pris la peine de nous assurer de leur absence. A quand remonte leur passage ?

- Ils sont arrivés un jour avant nous, soit désormais sept jours d’avantage.

- Espérons dans ce cas qu’ils rencontrent des ennuis sur la route, déclara Asnath, les autres sont en train de se préparer ?

- Oui.

- Tu reprends la tête du groupe pour nous guider, comme d’habitude.

- Non, répondit la mage d’une voix abrupte.

La prêtresse fut déstabilisée par cette réponse sèche de son amie. Alors qu’elle l’observait sans rien dire, Noem’Aeda soupira longuement comme si elle s’évertuait à tenter d’expliquer quelque chose à quelqu’un qui ne peut comprendre.

- Vois où cela a mené notre groupe de m’avoir à sa tête, maugréa-t-elle, si quelqu’un doit en prendre la tête, c’est toi.

- Cesse tes balivernes, tu te sens coupable, tu ne sais pas ce que tu dis, l’interrompit Asnath en commençant à se relever.

La mage attrapa d’un geste vif le bras, de son amie, la forçant à rester au sol.

- Ce ne sont pas des balivernes. Tu as sauvé la vie de trois personnes dans ce groupe. C’est toi qui as tout risqué pour aller sauver ton frère, c’est grâce à toi que le Fléau n’est pas en possession des deux dernières Reliques. Tu n’as eu que quelques mots à dire pour que nous te suivions tous en Norfendre. Tu es de loin bien plus à même que moi de nous diriger. Le simple fait d’être ta boussole sera pour moi un plaisir, mais désormais, c’est toi le guide.

- J’espère que tu n’auras pas à le regretter, répondit Asnath en se dégageant d’un geste.

- Crois-moi, je n’ai jamais regretté de t’avoir fait confiance.

La jeune femme s’éloigna en essayant de ne pas penser aux responsabilités qui lui incomberaient si elle acceptait de prendre la tête de leur groupe. Ce fut Nathaël qui vint dissiper ses dernières réticences alors qu’ils avaient repris la route en suivant la trace que Noem’Aeda parvenait à repérer grâce à son sortilège. L’elfe vint à elle alors que leur groupe venait de dépasser la Nouvelle-Âtreval et cheminait désormais dans des plaines de glaces.

- J’ai écouté la conversation que tu as eu avec Noem’Aeda, commença le paladin.

- Le problème des elfes, répliqua la prêtresse d’un ton plus brusque qu’elle ne l’aurait souhaité, c’est qu’ils ont tendance à laisser traîner leurs grandes oreilles un peu partout.

- Tu es, je pense, l’humaine la plus à même d’en juger. Mais si tu ne souhaites pas entendre mes conseils, je peux retourner à l’arrière.

L’elfe de sang fit mine de ralentir son cheval et la réaction d’Asnath ne se fit pas attendre.

- Non, attends ! Je suis désolée, je ne voulais pas te parler ainsi.

- Mais tu l’as fait, fit remarquer Nathaël.

- Je m’en excuse.

- J’accepte tes excuses. Ce que je souhaitais te dire, mis à part le fait que je vous ai écoutées, c’est que Noem’Aeda a raison.

- C’est bien la première fois que vous tombez d’accord, plaisanta l’humaine.

- Sans doute oui, une fois n’est pas coutume. Tu es la personne qui peut le mieux remplir le rôle de chef, Asnath. Selon toi, quel est le lien entre tous ceux qui se trouvent ici ?

- Les Reliques de Pouvoir.

- Toi, Asnath. Sans toi, aucun de nous ne serait ici. J’aurai traité de fou quiconque m’aurait proposé d’entreprendre cette expédition, malgré mon désir de servir mon Ordre jusqu’à la mort. Mais venant de toi, l’idée ne semble plus aussi irraisonnable tout d’un coup. Tu comprends ce que je veux dire ?

- Je comprends que je suis quelqu’un de très habile pour mener les gens à leur perte.

- Aucun de nous n’est mort jusqu’à présent, démentit Nathaël en balayant la remarque de son interlocutrice d’un geste de bras, Asnath, écoute-moi. Je suis un soldat, je sais ce que c’est de recevoir des ordres et je peux t’assurer d’une chose. Un vrai commandant n’est pas uniquement capable de gagner une victoire en sauvegardant la majorité de ses troupes. Celui-ci est un stratège et cela ne suffit pas à être un chef. Ce qu’il faut, c’est être capable de parler à tes hommes de telle façon qu’ils aillent se battre pour toi avec enthousiasme et que l’idée de mourir leur paraisse presque improbable. Tu as les deux pour toi, ne te méprends pas sur ta valeur…

Leur discussion fut interrompue à cet instant par un bruit dont l’origine resta indéterminée. En un éclair, tout le monde fut sur ses gardes et chacun scruta le paysage plat qui les entourait de toutes parts. Omundron, sous sa forme féline, huma l’air dans le but d’identifier la menace qui les guettait et ses oreilles frémirent à l’écoute de sons que seul lui pouvait entendre. Il finit par s’immobiliser et émit un grondement sourd.

Tout à coup, un projectile surgit de nulle part, frôla le druide puis Ellécnite avant d’aller percuter Noem’Aeda qui tomba de sa monture et s’écrasa dans la neige. Omundron se jeta droit devant lui et ses lourdes pattes s’abattirent sur quelque chose. La créature invisible apparut soudain et chacun put constater qu’il s’agissait d’un humain.

- Des chasseurs de mages ! cria Ellécnite en observant l’homme au sol, c’est après Noem’Aeda qu’ils en ont !

Tous sautèrent au bas de leur monture et se regroupèrent autour de la mage toujours à terre pour la protéger. Le druide passa du félin à l’ours et son imposante carrure permit à Asnath de s’agenouiller auprès de son amie inconsciente sans laisser de faille dans leur barrière vivante.

- Omundron, combien sont ils ? demanda Asnath en retournant la draeneï pour examiner son état.

- J’en repère huit, répondit l’elfe de sa voix surnaturelle.

- Je n’en vois que sept, corrigea Ellécnite.

- Comment le sais-tu ?

- Les mages ne sont pas les seuls à posséder des sortilèges utiles. Il en existe un qui nous permet de voir à travers le sort d’invisibilité des rats de bibliothèque.

- Pourquoi Omundron en a-t-il détecté un de plus que toi ?

- Ce n’est pas ce qui nous intéresse le plus, intervint Nathaël en scrutant l’air devant lui, si nous n’arrivons pas à les voir ils nous tueront sans même que nous nous en rendions compte.

Asnath prit le temps d’incanter un bouclier suffisamment grand pour maintenir tous ses compagnons sous sa protection.

- Omundron et Ellécnite, essayez de les obliger à se rendre visibles. Nathaël tu surveilles mes arrières pendant que je m’occupe de Noem’Aeda. Une fois qu’elle sera réveillée, nous pourrons essayer de nous tirer de là.

Même s’ils avaient désormais la certitude d’être les proies d’ennemis camouflés, le silence lourd et oppressant rendait la scène irréelle. Après la première attaque qui avait touché la draeneï, leurs assaillants n’avaient pas lancé d’autres sorts. Asnath comprit rapidement qu’ils attendaient de voir si la Noem’Aeda se relevait. La prêtresse ne savait pas beaucoup de choses au sujet des chasseurs de mages mais elle comprit rapidement que les autres membres du groupe ne les intéressaient pas. Cependant, si jamais ceux-ci venaient à se mettre en travers de leur chemin, ils n’hésiteraient sans doute pas à les tuer.

Un dilemme s’offrit à la jeune femme. Si elle soignait Noem’Aeda, cela déclencherait à coup sûr des représailles de la part de leurs ennemis, cependant, elle ne pouvait laisser son amie dans l’état où elle était, de peur que le froid ne facilite l’œuvre des chasseurs de mages. Elle renforça son bouclier et fit rouler son amie afin de pouvoir l’observer de plus près. L’humaine remarqua que la mage n’avait pas été blessée grièvement mais qu’elle était maintenue inconsciente par le sort qui lui avait été lancé.

- Préparez-vous, prévint-elle ses compagnons à voix basse, dès que je dissiperai les effets du sortilège, ils reprendront leurs attaques. Nathaël, quand j’aurai terminé, fais grimper Noem’Aeda sur son cheval le plus vite possible et allons-nous en.

- Nous n’irons pas loin avant qu’il nous rattrape Asnath, répondit Ellécnite sur le même ton.

- Mais vous ne pouvez vous battre à deux contre huit, souffla la prêtresse, Nathaël et moi sommes aveugles et Noem’Aeda est loin d’être en état de combattre. Si nous pouvons au moins leur échapper le temps qu’elle reprenne ses esprits, nous pourrons agir sans risquer avoir à la surveiller.

- Vous n’aurez pas le temps de tous vous mettre en selle, objecta Omundron tout en continuant de fixer le paysage enneigé.

- Combien de personne peux-tu transporter sous cette forme ?

- Un humain adulte si je veux pouvoir continuer de courir.

- Parfait, Ellécnite, monte sur le dos d’Omundron. Nathaël, tu montreras avec Noem’Aeda et moi avec Ellécnite. Tu penses pouvoir tenir mon frère ?

- Vos poids plumes ne devraient pas me ralentir, répondit le druide, mais je ne pourrais pas les semer s’ils sont capables de se téléporter.

- Peu nous importe. Il faut que Noem’Aeda revienne à elle, c’est pour le moment l’essentiel.

Au même moment, Asnath posa sa main sur le front de son amie et prononça une courte incantation pour dissiper le sort qui la maintenait dans son inconscience artificielle. Le visage inerte de la draeneï sembla s’animer d’une nouvelle vie et la prêtresse vit ses traits se crisper, sans doute sous l’effet du retour de ses sensations. A peine la jeune femme avait-elle levé le sortilège que les attaques magiques reprirent, venant de tous côtés, leurs ennemis les avaient encerclés.

De leurs côtés, Omundron et Ellécnite, protégés par le bouclier érigé par la prêtresse, contre-attaquèrent avec force. La démoniste, perchée sur le dos du druide, déclenchait de puissantes vagues enflammées dans le but de débusquer leurs assaillants. Pendant ce temps, l’elfe de la nuit utilisait ses sens accrus pour rapprocher son fardeau le plus possible de ses cibles invisibles.

D’un geste, Asnath fit signe à Nathaël d’emmener la mage qui reprenait ses esprits. Sans attendre, le paladin hissa la draeneï en travers de la selle du cheval le plus robuste, monta derrière elle et s’élança à travers les plaines gelées. La prêtresse se précipita alors vers Omundron et monta sur son dos derrière Ellécnite tandis que l’énorme ours partait à la suite du cheval lancé au galop. Les deux combattants étaient parvenus à mettre deux adversaires de plus hors d’état de nuire et les autres avaient renoncé à maintenir leur invisibilité afin de pouvoir continuer d’attaquer.

Alors qu’ils s’éloignaient pour rattraper le paladin et la mage, Asnath put voir que le huitième ennemi dont avait parlé Omundron se trouvait à l’écart des autres et ne semblait pas s’alarmer de leur fuite. Lorsqu’elle le vit disparaître, la jeune humaine comprit que ses deux compagnons partis à l’avant étaient en danger.

- Nathaël ! hurla-t-elle à plein poumons en direction du cheval qu’ils rattrapaient peu à peu, Nathaël, fais attention !

Le paladin ne vit la silhouette apparue devant lui qu’au dernier moment et ne put empêcher sa monture de se précipiter sur elle. Le cheval percuta l’obstacle vivant de plein fouet qui demeura immobile tandis que les deux cavaliers faisaient un vol plané qui les amena à plusieurs mètres du point d’impact. Nathaël était affalé dans la neige à quelques mètres seulement d’Omundron qui accéléra encore. Une fois qu’ils l’eurent rejoint, la prêtresse sauta immédiatement à terre mais empêcha Ellécnite de faire de même.

- Toi et Omundron, couvrez nos arrières, lui ordonna-t-elle, les chasseurs de mages vont arriver d’un instant à l’autre, il ne faut pas qu’ils nous prennent de nouveau par surprise. Je m’occupe de Nathaël et Noem’Aeda.

L’elfe de sang se relevait tant bien que mal et son bras droit semblait s’être brisé lors de sa chute. L’humaine s’agenouilla à ses côtés et attrapa le membre blessé, la grimace qui déforma le visage d’ordinaire si parfait de l’elfe confirma ses conclusions.

- Tu es capable de te soigner seul ? s’enquit Asnath.

En voyant le paladin acquiescer, elle reporta son attention sur l’ennemi qui avait été percuté par un cheval et n’avait pas bronché. Il s’agissait apparemment d’un haut-elfe ou d’un elfe de sang. Il était habillé très peu chaudement malgré le froid glacial qui régnait dehors et ne portait pas d’armes, contrairement à ses acolytes.

L’elfe s’avança vers Noem’Aeda qui avait recouvré ses esprits et qui cherchait désormais à s’éloigner de son agresseur. Tandis que celui-ci continuer d’avancer vers elle, la mage lui expédia une flèche de glace pour le ralentir. Cependant, son ennemi tendit la main au moment où le sort allait le frapper et ce dernier fut comme aspiré au creux de sa paume. Abasourdie, la draeneï eut le reflexe de lancer un autre sort, qui aurait été capable d’assommer la plus formidable des créatures et qui atteignit l’elfe à l’épaule.

De nouveau, l’étrange inconnu encaissa le choc sans broncher mais cette fois-ci, il prit la parole.

- Tu as peur ? demanda-t-il d’une voix résonnante et profonde.

Noem’Aeda se redressa, une lueur de défi dans les yeux. A ce moment, les pièces du puzzle se mirent en place dans la tête d’Asnath, mais elle n’eut pas le temps de prévenir son amie.

- Je n’ai jamais eu peur d’un elfe, déclara la draeneï en toisant son agresseur alors que ses mains étaient de nouveau entourées d’une aura de glace.

- Si tu n’as pas peur d’un elfe, alors peut-être craindra-tu ma forme véritable, reprit le chasseur de mage.

- Noem’Aeda, c’est un dragon ! cria Asnath en se précipitant vers la mage, cours !

Mais la mage se trouva incapable de faire le moindre mouvement quand l’enveloppe elfique de son agresseur se désintégra en une explosion d’énergie arcanique pour laisser place à un gigantesque dragon aux écailles azur.

- Ta vie s’achève ici, magicienne, gronda le dragon d’une voix qui faisait trembler la terre elle-même, nul n’a le droit d’user de la magie qui n’ait reçu autorisation du Tisseur de Sorts. Toi et les tiens n’avaient jamais fait qu’attirer la Légion sur Azeroth en déchaînant perpétuellement les énergies magiques. Prépare-toi à mourir.

Le dragon se dressa de toute sa hauteur, surplombant Noem’Aeda et se préparait à l’exécuter quand Asnath, désormais à portée, fit jaillir un puissant jet de lumière de ses mains et le dirigea vers l’immense reptile. La lumière l’éblouit mais le dragon se jeta en arrière et abattit ses pattes avant sur le sol manquant la draeneï de peu. Cependant, la mage tétanisée ne réagit pas et, alors que le dragon avait retrouvé la vue et levait sa gigantesque patte pour balayer la mage d’un seul coup.

Sans réfléchir aux conséquences, la prêtresse se jeta sur son amie pour la mettre au sol. La faiblesse de Noem’Aeda était telle qu’elle n’eut aucun mal à la faire perdre l’équilibre, mais la jeune femme ne parvint pas à s’éloigner suffisamment de leur agresseur pour être à l’abri. Les gigantesques griffes déchirèrent sa robe et s’enfoncèrent profondément dans sa chair, y traçant des sillons écarlates. La prêtresse poussa un hurlement de douleur et s’écroula auprès de son amie.

La vision troublée par la douleur, Asnath parvint à se mettre sur le côté pour observer le dragon qui les toisait désormais, déchirant l’air de son rire. Au loin, elle entendit Nathaël l’appelait et plus près la voix de Noem’Aeda qui lui parlait, mais elle ne comprenait pas le sens de ses paroles. Le monde devenait peu à peu silencieux et ses yeux ne parvenaient plus à voir que le bleu des écailles du dragon. Elle ne percevait presque plus les secousses de la mage qui tentait de la maintenir éveillée. Mais il était tellement plus doux de se laisser aller, d’oublier la douleur qui lui embrasait le dos, de se laisser bercer par le silence grandissant en contemplant l’azur scintillant qui ondulait devant ses yeux.

Avant qu’elle ne lâche prise, Asnath vit un éclair flamboyant s’abattre sur la mer azurée, ne laissant place qu’au blanc immaculé de la neige, puis au noir angoissant des ténèbres.