Cependant, sa rencontre avec la prêtresse avait été l’occasion pour lui d’envisager la possibilité de prendre lui aussi la route. Aussi avait-il fait le choix de partir pour Orgrimmar, en chemin il aurait le temps de s’interroger sur sa prochaine destination. C’est ainsi qu’il avait repris la route après des années passées à la Croisée, dans le but de rejoindre la capitale de son peuple. Il s’y était alors installé quelques mois afin d’étudier auprès d’un maître chaman reconnu qui avait élu domicile dans cette cité.

Un jour, il avait rencontré Chailel dans une taverne d’Orgrimmar et tous deux avaient finalement sympathisé. Après plusieurs semaines pendant lesquelles ils s’étaient retrouvés régulièrement au même comptoir, Chailel avait expliqué qu’il recherchait un dernier membre pour son convoi à destination du Tournoi d’Argent. L’orc avait rapidement accepté à l’idée de prêter main-forte à ceux qui combattaient le Fléau en Norfendre. Le chasseur et le chaman avaient ainsi quitté Orgrimmar pour prendre le zeppelin et voyager vers le continent gelé où le Traqueur les attendait avec le convoi.

Lorsque la prêtresse l’interrogea à propos du mort-vivant, Naarok expliqua que celui-ci était un véritable mystère pour lui. Seul Chailel semblait avoir gagné la confiance du voleur et connaissait une partie de son histoire, c’était donc à lui qu’Asnath devait s’adresser si elle souhaitait en savoir plus sur le Traqueur. Aussi la jeune femme vint-elle parler au tauren un soir, alors que le mort-vivant s’était éclipsé.

Le chasseur était en train de découper des morceaux de viandes prélevés à un brochepelle qu’il avait tué deux jours auparavant et dont la chair était venue gonfler les provisions. A ses côtés, Seherz, son immense serpent, était roulé sur-lui-même à proximité du feu et observait la viande de ses pupilles fendues, dans l’espoir d’en récupérer un morceau.

- Chailel, puis-je vous poser une question ? demanda Asnath en s’asseyant sur un morceau de bois qui se trouvait près du tauren.

- Oui, répondit Chailel sans lever les yeux de son travail, mais il n’est pas sûr que tu obtiennes des réponses. Cela dépendra de ce qui préoccupe ton esprit.

- Que pouvez-vous me dire du Traqueur ?

Le couteau du chasseur s’arrêta une seconde avant de reprendre son découpage.

- Ses paroles continuent de te hanter, n’est-ce pas ? poursuivit Chailel, je t’ai dit de ne pas t’en soucier. Mais si tu cherches vraiment à mieux le comprendre, je pense que nous devrions attendre la fin du repas. Lorsque tous seront endormis et que lui sera parti errer la Terre-mère seule sait où, nous pourrons parler librement et sans craindre d’être interrompus.

Comme pour confirmer les dires du tauren, Nathaël et Naarok vinrent se joindre à eux. Ce furent ensuite Zoorz et Omundron qui revinrent, l’un chargé de provisions et bois, l’autre transportait de l’eau. Le Traqueur fit son apparition un peu plus tard, jeta un œil vers le petit groupe installé autour du feu et s’éloigna pour vérifier les chariots du convoi. Seules Noem’Aeda et Ellécnite manquaient à l’appel, ce qui commença à inquiéter la prêtresse.

Le convoi avait quitté le Fjord Hurlant et pénétré dans les Grisonnes. Cette région qui fournissait en bois toutes les armées basées en Norfendre était réputé tout autant pour son immense forêt de conifères que pour ses ours desquels elle tirait son nom. De plus, les accrochages entre Horde et Alliance pour le contrôle des principaux points de déforestation n’étaient pas rares. Enfin, la possibilité de rencontrer des fulborgs ou d’autres créatures ayant élu domicile dans les restes du premier arbre monde restait envisageable.

Chailel avait décidé d’établir le camp près de la rivière qui traversait la région du nord au sud, en veillant à rester suffisamment éloignés des berges pour ne pas être repérés par les ours qui venaient y chasser. Le danger n’en restait pas moins présent. L’absence de la gnome et de la draeneï fut dont immédiatement remarquée et mit tout le monde en alerte.

Soudain, ils attendirent le fracas d’une explosion venant de la rivière. Sans attendre, Omundron s’élança sous sa forme féline dans la direction du bruit. Asnath eut tout juste le temps d’agripper son frère à l’encolure et de se hisser sur son dos. Le druide dévala d’une seule traite la pente raide qui menait à la rivière et s’arrêta net devant le spectacle qui s’offrait à eux.

De l’eau jusqu’aux genoux, en position de combat, la mage faisait face à la démoniste qui se tenait sur la rive, accompagnée de son marcheur du vide qui avançait vers la draeneï. Dès que le démon pénétra dans la rivière, Noem’Aeda gela l’eau autour de lui afin de l’emprisonner puis se tourna vers Ellécnite.

- Un démoniste sans démon n’est rien, cria-t-elle, abandonne et je me montrerai clémente.

La gnome partit de son rire cristallin qui résonna longtemps avant de s’éteindre.

- Tu as oublié que la glace fond au contact de l’eau !

En effet, en quelques instants la prison de glace du marcheur avait fondu et celui-ci se précipita vers Noem’Aeda. La mage eut tout juste le temps de se transférer quelques mètres plus loin.

- Très bien, puisque tu sembles décidée à ne pas te battre seule, il me semble normal que je fasse moi aussi appel à une aide.

La draeneï prononça quelques mots dans la langue des mages et l’eau de la rivière prit forme. Elle se ramassa et s’éleva pour former un élémentaire aquatique qui vint se placer entre sa créatrice et le marcheur. Le combat entre les deux créatures s’engagea et Ellécnite sourit.

- Je savais que la lecture de ces manuels te serait bénéfique.

- Pendant que ceux-ci sont occupés, je crois que c’est entre toi et moi, répliqua Noem’Aeda.

Une nouvelle incantation et un bouclier de glace vint protéger la draeneï.

- J’ai appris de mes erreurs. Cette fois-ci ne crois pas triompher.

Nathaël arriva à cet instant aux côtés d’Asnath et Omundron.

- Que se passe-t-il ? demanda l’elfe en observant le combat qui se déroulait en contrebas.

- Noem’Aeda cherche à prendre sa revanche, répondit la prêtresse en gardant les yeux rivés sur les deux belligérantes, si je ne me trompe elles en auront terminé à la première blessure.

La draeneï et la gnome restèrent immobile un long moment. Pendant ce temps leurs créations continuaient de se battre. Au bout de quelques instants, le bouclier de la mage disparut et la draeneï dut de nouveau incanter pour se mettre à l’abri. C’est le moment que choisit Ellécnite pour commencer son sort. Mais la draeneï fut plus rapide et, alors que la démoniste achevait son incantation, elle prononça quelques mots d’une voix inintelligible.

Les flammes qui s’accumulaient autour des mains de la gnome disparurent à l’instant. Au même moment, l’élémentaire d’eau se dissipa, laissant le marcheur du vide libre de porter secours à sa maîtresse. Noem’Aeda ne perdit pas une seconde et tendit le bras vers Ellécnite. Un fragment de glace fendit l’air en direction de celle-ci qui eut tout juste le temps de l’éviter. La glace effilée parvint cependant à trancher sa robe et laissa une marque rouge sur le bras de la gnome.

En voyant que son coup avait porté, la draeneï laissa éclater sa joie. Elle ne vit pas le démon foncer sur elle et celui-ci la percuta de plein fouet, la projetant dans l’eau. Il en fallait cependant plus pour entamer sa bonne humeur et, lorsque les trois spectateurs vinrent les rejoindre, Noem’Aeda se jeta sur Asnath et la précipita elle aussi dans la rivière. Trempée jusqu’aux os, la prêtresse regagna la berge, elle entendit alors Nathaël rire aux éclats et se lança à sa poursuite.

Ne pouvant rivaliser avec l’elfe à la course, la jeune femme demanda de l’aide à la mage qui se fit un plaisir de lancer un sort au fuyard. Celui-ci se trouva ralenti suffisamment pour être rattrapé par l’humaine qui entra en collision avec lui. Ils perdirent tout deux l’équilibre et s’écroulèrent dans l’eau froide de la rivière. Lorsqu’ils s’immobilisèrent quelques mètres en aval, l’un comme l’autre ne put réprimer le fou-rire qui les gagna.

Pour la première fois depuis longtemps, Asnath rit jusqu’à en pleurer sans autre pensée que celle de la drôlerie de la situation. Nathaël, qui avait amorti sa chute et se trouvait toujours sous elle, tenta de la repousser afin de ne pas suffoquer. Mais le paladin n’avait plus aucune force, vaincu qu’il était par l’hilarité contagieuse qui s’était abattue sur le groupe. La prêtresse parvint enfin à trouver le courage de se lever pour libérer l’elfe et, les larmes aux yeux, l’aida à se redresser. Ils gagnèrent ensemble la rive et allèrent retrouver Noem’Aeda et Ellécnite qui avaient rejoint Omundron.

Le druide s’occupait de la blessure de la démoniste tandis que la mage essayait désespérément de se réchauffer, ses vêtements trempés collant sa peau. Asnath ressentit rapidement elle aussi la morsure du froid à travers le tissu humide de sa robe. Nathaël lui frotta les bras pour tenter de la réchauffer et lui conseilla de changer de vêtements dès leur retour au camp afin de ne pas tomber malade.

Zoorz fit son apparition quelques minutes après. Il n’avait pas pris la peine d’emmener son arme avec lui, connaissant trop bien Ellécnite pour ne pas avoir reconnu son œuvre dans l’explosion qui avait déchiré le silence de la forêt. Le guerrier observa d’un œil curieux ses trois compagnons dont les vêtements dégoulinaient puis il jeta un regard amusé sur le bras d’Ellécnite et l’entaille qu’Omundron était en train de soigner.

- Et bah, j’ai bein fait d’venir moi. C’est bein la première fois que j’vois la p’tite rose êt’ battue en duel. J’suppose que j’dois r’mercier la grande pip’lette pour ça.

Noem’Aeda hocha la tête en claquant des dents. Un sourire éclaira de le visage du nain avant que celui-ci ne reprenne la parole.

- J’pense que l’plus tôt on s’ra r’tournés au camp, l’mieux ce s’ra.

Tous approuvèrent et bientôt les six compagnons furent de retour dans la sécurité du campement. Asnath, Noem’Aeda et Nathaël se hâtèrent de troquer leurs habits mouillés contre des secs. Chailel et Naarok avaient eut le temps de préparer le repas sur lequel la draeneï et le nain se jetèrent avec appétit.

Ce n’est que lorsque le sommeil se fut abattu sur les voyageurs que Seherz vint siffler auprès du visage d’Asnath pour la réveiller. La prêtresse se leva rapidement et suivit le serpent près du feu où son maître veillait pour le premier tour de garde. La jeune femme s’assit auprès du tauren tandis que le grand reptile s’enroulait sur lui-même à proximité des flammes.

- Tu voulais en savoir plus sur le Traqueur, murmura Chailel pour ne réveiller personne, je ne peux que te révéler que ce que j’ai moi-même pu apprendre de lui. Les réprouvés sont méfiants, mais j’en ai rarement vu qui le soient autant que lui. Il n’apprécierait sans doute pas que je te raconte sa vie, il met toute son énergie à préserver le mystère qui plane autour de lui.

Instinctivement, la prêtresse jeta un œil autour d’elle pour vérifier que le voleur ne l’épiait pas dans l’obscurité. Le tauren eut un petit rire en la voyant agir.

- Ne t’inquiète pas, Seherz le repèrera bien avant qu’il ne puisse nous entendre s’il revient. Ce que je vais te raconter vient des conclusions que j’ai pu tirer à force de le côtoyer et des quelques lambeaux de son passé qu’il a bien voulu me révéler. Le Traqueur n’était pas de son vivant tel qu’il est maintenant. Je crois qu’il était artisan autrefois, il a conservé sa dextérité après sa transformation. Il a fait partie du massacre de Lordaeron durant lequel la majorité des habitants de la cité a perdu la vie. La suite de son histoire reste floue, même pour lui-même. Il lui semble qu’il a longtemps servit le Fléau, cependant il ne sait pas s’il a été ramené à la vie immédiatement après son décès ou plus tard. Sa mémoire remonte au moment où les réprouvés l’ont libéré du contrôle du Roi Liche.

Chailel suspendit son récit le temps d’attiser le feu et de jeter une bûche au milieu du foyer.

- Lorsqu’il s’est réveillé, il avait oublié jusqu’à son nom. Les réprouvés l’ont testé afin d’évaluer ses aptitudes et de déterminer à quel point il pouvait leur être utile. Immédiatement ils ont remarqué que le Fléau l’avait entraîné pour en faire une arme redoutable. Les fidèles de Sylvanas décidèrent donc d’en faire un traqueur. Sa mission était de chasser les morts-vivants du Fléau afin de les capturer et de les ramener aux réprouvés pour que ceux-ci se chargent de les libérer.

Ayant oublié déjà deux fois qui il avait été, dans la vie comme dans la mort, il décida de ne pas se bâtir de nouvelle identité. Il prit pour nom son nouveau rôle, fondant sa vie même et sa personne dans cette nouvelle tâche qui était la sienne. C’est ainsi qu’il devint le Traqueur. Mais sa haine du Fléau n’a aucune limite, aussi passa-t-il vite de la traque à l’extermination. Aucun de ses membres, vivant ou mort, ne trouve grâce à ses yeux. Les Réprouvés ont fini par renoncer à tenter de le contrôler, ceux qui ont essayé s’en souviennent encore je crois et il s’est résolu de poursuivre sa mission seul.

Je l’ai rencontré il y a une dizaine d’années, par hasard. J’étais chargé de retrouver la trace de prisonniers capturés par le Fléau et lui… Disons que nous avions trouvé un objectif commun et que je lui ai proposé de nous allier. Je crois bien que c’était la première fois de sa mort que quelqu’un lui offrait de l’aide sans contrepartie aucune que le bénéfice d’œuvrer à plusieurs. Je ne me souviens plus exactement comment j’ai réussi à le convaincre, toujours est-il qu’il a accepté mon offre et nous avons rapidement mené à bien nos missions.

Je pense qu’il a alors vu une occasion de trouver plus rapidement ses proies. Le Norfendre est devenu son terrain de chasse et il m’accompagne sur tous mes convois, attendant impatiemment le moment où le Fléau nous tendra une embuscade. A force de rester seul avec moi, il a fini par abandonner quelque peu sa défiance et désormais, il peut nous arriver d’avoir un semblant de conversation.

- Que voulait-il dire lorsqu’il a mentionné ceux dont il ne se souvient qu’en partie ? demanda Asnath en observant le serpent qui offrait ses écailles à la chaleur du feu.

- Il parlait de la première partie de sa mort dont il ne conserve que des bribes, expliqua Chailel, il lui est arrivé parfois de reconnaître vaguement certaines de ses victimes. Ce qui est des étonnants c’est le fait qu’il ait pu identifier des créatures d’un rang extrêmement varié dans la hiérarchie du Fléau. Nous en avons fini par supposer que lui-même n’était pas un basique soldat du Roi Liche mais sans doute quelqu’un de plus important. Les Réprouvés qui l’ont ranimé l’avaient trouvé en ratissant un champ de bataille, entouré de nombreux cadavres de ses ennemis, mais nul ne sait qui il était. Je pense que son mystère pourrait bien survivre encore longtemps.

C’est à cet instant que Seherz se redressa et darda ses iris fendus vers la forêt qui les entourait, sa langue bifide scrutant l’air. Son message était clair, le Traqueur serait de retour d’un instant à l’autre. Le tauren observa rapidement son compagnon à sang froid puis se tourna vers la prêtresse.

- Il vaudrait sans doute mieux qu’il ne te voit pas en train de discuter avec moi, lui conseilla le chasseur, il a déjà remarqué que tu t’intéressais à lui et cela ne lui plaît pas. Va te coucher et essaie de calmer ta respiration pour qu’il pense que tu dors.

- Merci d’avoir répondu à mes questions, dit la jeune femme en regagnant rapidement sa chaude couverture.

- Ne me remercie pas, répliqua Chailel de sa voix calme, mais cesse de t’inquiéter au sujet de ce qui s’est passé lorsque le Traqueur t’a rencontrée. Si, comme tes amis le disent, tu as vécu toute ta vie dans un sanctuaire, je ne vois pas comment il aurait pu te connaître.

Asnath s’enroula dans sa fourrure et se faufila entre Noem’Aeda et Omundron. Elle essaya de s’endormir avant l’arrivée du voleur mais entendit bientôt Chailel s’adresser à lui en orc. Etrangement, ce fut dans le langage humain que le Traqueur répondit au tauren.

- Rien dans les environs, murmura sa voix rauque, vivement qu’on quitte cette région.

- D’après ce que le nain m’a dit, reprit le tauren dans la même langue, leur groupe a des comptes à rendre à quelques troupes du Fléau qui vont débarquer dans la Désolation des Dragons. Veux-tu que nous les y accompagnions ?

- Pas question de faire le guet pendant des jours quand je peux trouver de quoi utiliser mes lames plus au nord.

- En temps normal tu me laisserais seul le temps nécessaire pour qu’ils arrivent et que tu les fasses passer dans l’autre monde.

- Pas confiance en l’humaine, maugréa le réprouvé en s’asseyant, elle cache son jeu. Quand je la regarde, j’arrive pas à ne pas ressentir une impression de déjà vu.

- Impossible que tu l’aies rencontrée. A moins d’avoir été un elfe de la nuit dans ta vie et encore… Tu dois sans doute la confondre avec quelqu’un qui lui ressemble.

- Je l’espère pour elle. Mais elle doit vraiment ressembler fortement à quelqu’un qui m’a marqué pour que je parvienne à la confondre.

La conversation entre le tauren et le réprouvé s’arrêta là et Asnath finit par s’endormir, malgré les menaces que contenaient les mots du Traqueur.