- Quoi ? Tu ne connais pas les chevaux. Non, tu plaisantes ? C'est peut-être l'animal le plus pratique de cette terre. Tout le monde en a et surtout nous, les Enartiens, pour voyager C'est plus pratique.

Altéria était émerveillée par ses immenses créatures pleines de grâce et de force. Elle se rappela alors que Minéa s'était un jour vantée devant tous les jeunes de l’île d’en avoir monté un en allant sur le continent avec ses parents. La jeune fille avait d'ailleurs raconté que c'était l'animal des rois et des seigneurs et que peu de gens en possédaient sur le continent. Encore une fois la fille du gouverneur avait profité de l’ignorance des autres pour accroître son prestige.

Un problème se posa donc assez rapidement : Altéria ne savait pas monter à cheval. Nanthamo fit alors preuve de beaucoup de patience pour apprendre à la jeune Enartienne à se tenir en selle et à diriger son cheval. Il fut cependant décidé que tant qu’Altéria ne serait pas habituée, sa monture serait attachée au cheval du jeune homme pour éviter les catastrophes.

La monture en question s'appelait Pulcine, c'était une jeune jument qui regardait tout ce qui l’entourait avec un regard tellement curieux qu’on aurait presque dit un être humain. Nanthamo s’excusa du fait qu’elle doive monter un cheval aussi jeune, et donc déconseillé pour un cavalier débutant. Il se justifia en lui expliquant que tous les chevaux d’Agathil étaient parfaitement dressés, à la manière des montures de combat des soldats de cavalerie. Altéria une tout de suite le coup de foudre, elle avait même l'impression que c'était réciproque ce qui lui permit de se détendre et donc de ne pas affoler la petite jument.

Le petit groupe d’énartiens quitta rapidement le port, traversa le fleuve à l’embouchure duquel était bâti Jelur, ils partirent alors vers le nord-est en direction de l’autre grand fleuve de l’Empire, le Nezpi. Les trois cavaliers traversèrent plusieurs villages dans la matinée, puis s'arrêtèrent dans un bosquet pour manger et laisser les chevaux se reposer. Ils reprirent la route une heure après. Altéria observa le paysage de la région. Le groupe traversait une région verdoyante, plate et parsemée de nombreux ruisseaux. Le vent faisait onduler l'herbe et les épis encore verts des champs de blé. Les villageois qui les voyaient passer leur souriaient tout en continuant leurs travaux.

Altéria compris que l’attitude des paysans à leur égard était du à leur statut d’Enartiens. Cela l’étonna, elle n’avait jamais pensé que les guerriers d’Enartia pouvaient jouir d’une telle popularité, Niméo était vraiment coupée de l’Empire. Sur l’île, l’ordre était certes connu, cependant ils étaient presque plus une légende qu’une réalité. Cette idée était d’ailleurs renforcée par le fait qu’aucun des enfants natifs de Saisio et de ses environs n’était parti servir la déesse blanche depuis un siècle.

Ils parcoururent une vingtaine de kilomètres pendant la journée, selon les estimations de Nanthamo. Le camp fut monté pour la nuit à l’écart de la route, non loin d’une petite rivière. Ieza demanda aux deux jeunes de ramener du poids. Ils eurent tôt fait de ramasser une grande quantité de branches et retournèrent au campement. Pendant ce temps, Ieza avait déjà dessellé les chevaux et sortit trois couvertures ainsi que le repas.

Nanthamo disposa les branches en un enchevêtrement complexe et claqua des doigts. Une petite étincelle jaillit dans l'amas de brindilles qui devint rapidement un bon feu. Les trois Enartien partagèrent un repas frugal et s'endormirent à la chaleur du foyer. Altéria resta éveillée un peu plus longtemps, jouant avec l'eau de sa gourde en essayant de la maintenir sous forme de glace malgré les attaques du feu. Elle avait pris cette habitude et essayait chaque jour de former des formes plus complexes, parfois le résultat était surprenant, mais elle persévérait. Quand ses yeux commencèrent la jeune femme essaya de dormir mais le froid printanier la faisait grelottait.

Altéria ne s’était pas encore habituée au changement de climat entre Niméo et le continent, pour elle le temps était glacial et ni le feu ni sa grosse couverture ne parvenaient pas à la protéger de l’humidité et de la température peu élevée. Au bout d’un moment, la jeune femme sentit qu’on rajoutait sur elle une épaisseur de tissu protecteur. En levant la tête, elle vit que c’était Ieza qui venait de lui donner sa propre couverture.

- Vous ne risquez pas d’avoir froid ? demanda-t-elle à mi-mots de peur de réveiller Nanthamo.

- Ne te fais pas de souci pour moi, j’ai d’autres moyens de me protéger du froid, répondit le vieil Enartien en lui souriant.

Altéria était trop fatiguée pour cherche d’autres explications, elle acquiesça et s’endormit.

Le lendemain, ils reprirent leur route, les trois compagnons traversèrent le Nezpi et quittèrent les plaines humides pour entrer dans une région où se trouvaient plus de forêts que la route traversait. Les feuilles des arbres vinrent obscurcir le soleil et la température diminua. Altéria s'émerveillait de ses immenses arbres qui dépassaient de loin ceux qui poussaient chez elle. Le bruit des animaux, le bruissement sourd des branches au vent, le jeu d'ombres du soleil traversant la frondaison, même le doux crépitement de la pluie sur le sol de feuilles, tout ceci lui était inconnu. Elle vit même un groupe de quelques créatures semblables à des chevaux mais possédant de drôles de cornes qui laissaient croire que l'on avait accroché sur la tête de ces pauvres êtres des branches mortes. Farouches, les animaux avaient levé la tête dans leur direction puis s'étaient enfuis en bondissant à travers le bois. À un autre moment, la jeune femme aperçut un petit écureuil roux qui la toisait du haut de sa branche.

Pendant la journée, une averse se déclara et elle apprit une nouvelle utilisation de sa maîtrise de l'élément aquatique en regardant Nanthamo. Celui-ci arrivait à maintenir l'eau qui tombait à une distance respectable de lui ce qui lui permettait de ne pas être mouillé. Après quelques minutes d'entraînement suivies d’une douche froide parce qu'elle avait conservé l'eau au-dessus de sa tête et ensuite oublié concentrer pour parler au jeune homme, Altéria parvint à se maintenir au sec, ou presque.

A la fin de la première semaine, ils quittaient la région forestière, continuant vers ce qui semblait être le nord-est pour Altéria, malgré son incompétence totale et avouée à se diriger. La région qui s’étendait devant eux était différente de celle du sud du Nezpi. Celle-ci avait un relief plus marqué, de nombreuses collines

Trois jours plus tard, la jeune femme vit se profiler à l'horizon d'étranges masses sombres qu'elle prit tout d'abord pour des nuages très bas. Elle se rendit ensuite compte que c'était une chaîne de montagnes, seulement celle-ci était différente du volcan de Niméo, seul relief de l’île. Elles étaient pointues et acérées, comme si une immense mâchoire grignotait le ciel, et bien qu’elles soient encore très éloignées leur ombre était gigantesque. Quand elle demanda à Nanthamo s'ils se dirigeaient dans leur direction, il lui répondit gaiement :

- Oui, enfin nous rentrons à la maison ! Ces montagnes forment la chaîne de Lasilein, leur nom vient d’une vieille légende. Si je me souviens bien, une jeune fille y trouva refuge alors qu'on voulait la marier de force et survécu pendant un an dans ces monts que tous disaient invivables, avant de rentrer dans son village où elle épousa celui qu'elle aimait. On dit qu'elle a gardé toute sa vie la peau de la couleur de la neige et les yeux de la couleur de l'eau des torrents de montagnes. Pour revenir à la conversation, Agathil est bâti vers l’extérieur de la chaîne et c'est là que nous allons. Nous arriverons après-demain si tout se passe bien. Là nous serons chez nous.

Ils s'arrêtèrent à la tombée de la nuit et s'endormirent très vite. Altéria fut réveillée en sursaut par un bruit de tapage. Elle se leva et vit à la lueur du feu Nanthamo et Ieza en train de seller les chevaux. Altéria s'occupa donc de Pulcine et se demandait la raison de cette agitation. La jument paraissait affolée et failli échapper trois fois à sa jeune maîtresse, cependant, ce fut elle qui sauva la jeune femme en faisant un écart qui la décala d'un mètre. Altéria fut emporté et eu juste le temps de voir la lueur de l'épée s'abattant à l'endroit même où elle se trouvait l'instant d'avant.

Devant elle se dressait une créature affreuse. Celle-ci avait une silhouette presque humaine totalement difforme. Ses bras et ses jambes étaient déformés par sa musculature, sa tête était/paraissait presque soudée au reste du corps car il n'avait pas le coup. Son visage était cependant la partie la plus ressemblante à un humain, mis à part ses yeux. L’iris ne laissait pas une trace de blanc sur eux, ils étaient noirs avec des formes dorées comme si on avait dessiné à l'intérieur des arabesques d'or. La chose était recouverte par une sorte de toison et une armure de cuir doublé d'acier qui recouvrait ses épaules, ses avant-bras, ses jambes et son torse. Elle portait une épée grossière qui semblait efficace dans la main droite et un gantelet hérissé de lames à sa main gauche.

Altéria aperçu du coin de l'œil Nanthamo et Ieza qui se débattaient avec trois autres de ces créatures. Son propre adversaire se mit en position de combat et se prépara à attaquer. La jeune Enartienne ne savait quoi faire, elle ne maîtrisait qu'un seul de ses dons et un simple jet d'eau ne ferait rien à un colosse à qui elle arrivait à peine à la poitrine. Elle eut ensuite une idée, mais pour cela il lui fallait récupérer une chose qu'elle avait oubliée près du feu... Sa gourde. Au moment où elle voulait partir, son ennemi passa à l'attaque, la lame s'abattit avec violence et Altéria aurait été tuée sur le coup, tétanisée par la peur, si elle n'avait été violemment rejetée en arrière. Elle leva les yeux et vit Ieza qui la regarda une seconde avant de retourner à son propre adversaire, elle avait oublié que Nanthamo lui avait dit que leur compagnon de route était télékinésiste, c’était lui qui l’avait sauvée.

Soudain le monstre lui revint à l'esprit, pas question de s'endormir sur ses lauriers, surtout que sans Ieza elle serait gisante à deux endroits différents. Elle vit l'horrible bête en train de retirer son épée du sol où elle s'était enfoncée sous la puissance du coup. Altéria n'attendit pas qu'il finisse de la sortir pour partir en courant en direction du feu qui s'éteignait, elle récupéra sa gourde, se retourna et évita de justesse un autre coup de son adversaire. Elle ouvrit l'outre et renversa en tremblant tout son contenu sur son agresseur. Celui-ci, surpris, s'arrêta mais il reprit très vite ses esprits et lui entailla tout le bras de son gant à lames, Altéria retint à grand-peine un cri de douleur car elle ne savait pas quelle serait la réaction de la bête. Au lieu de montrer la souffrance qui irradiait jusque dans son épaule elle s'efforça d'agir sur le liquide. La créature s'élança alors pour lui porter le coup fatal et tomba. Deux blocs de glace lui enserraient les pieds. Pendant ce temps, Nanthamo avait carbonisé son adversaire et vint aider Altéria en assénant un grand coup de bâton sur la tête de son ennemi, qui perdit connaissance et ne se réveilla pas/pour ne jamais se réveiller.

Le combat avait duré moins de cinq minutes et leurs quatre assaillants étaient morts. Ieza s'approcha de la jeune femme qui tenait son bras, des larmes ruisselant malgré elle sur ses joues bien qu'elle eût préféré ne pas montrer celles-ci aux deux Enartiens. Il lui ordonna alors de lui montrer sa blessure :

- Ce n'est pas grave, il n'a fait que te frôler, dit-il après avoir examiné la plaie, si son arme s'était enfoncée plus profond tu aurais perdu l'usage ton bras. Ses lames sont placées de façon à couper tout ce qui se trouve sur leur passage comme du beurre. Il ferma alors les yeux et la blessure se mit à luire doucement, elle émit une lumière dorée puis lentement se referma et la lumière disparut. Soulagée de sa douleur Altéria se releva et regarda Ieza repartir préparer leurs affaires. Elle se tourna alors vers Nanthamo :

- On repart déjà ?

- Oui, répondit-il sans le ton d'éternel amusement qu'il avait toujours dans la voix, il envisageait une attaque mais pas si loin, il pensait que ce serait en mer, nous avons été pris au dépourvu. Il faut maintenant arriver le plus vite possible Agathil car ces troupes ne présagent rien de bon.

- Pourquoi ? Qu'est-ce que c'était ?

- Des Groms et pas des éclaireurs, une unité d'élite.

- Comment le sais-tu ?

- On sait très peu de chose des Groms, à la base ils étaient installés en paix dans le nord de l'empire, du côté des terres d'Extuk. Mais depuis que le pouvoir de l'impératrice décroît, ils ont commencé à faire des incursions de plus en plus loin et maintenant ils sont alliés aux Silfuriens. La seule chose que nous savons, c’est que leurs meilleurs combattants ont deux signes distinctifs : l’arme qu'ils ont au poignet gauche qui prouve qu'ils n'ont pas besoin de bouclier pour se défendre et les marques dans leurs yeux, personne ne sait comment ils les font apparaître. Maintenant viens. Nous devons partir, j'espère que tu es reposée parce que nous ne ferons aucune halte.

- Et quand arriverons-nous ?

- Demain, tôt demain matin. Aller maintenant en selle !

Altéria alla chercher Pulcine qui semblait ne pas avoir été blessée pendant l'attaque. Ils repartirent aussitôt après avoir brûlé les corps des Groms.