- Qu’a-t-il prédit pour qu’Asnath soit ainsi ?

La mage se tourna vers la jeune prêtresse qui marchait devant, plongée dans ses pensées.

- Si j’ai saisi tout le sens de ses mots, notre voyage causera pour moi une grande tristesse puis… il terminait en parlant de l’adoration que je porterai à quelque chose.

- Ou à quelqu’un. Ce sont le plus souvent les dieux qui ont l’honneur d’être adorés de leurs sujets, poursuivit l’elfe de sang d’un air pensif.

- Quant à Asnath, son présage était plus étrange encore. Tout d’abord parce que le sorcier a insisté fortement pour lire son avenir.

Noem’Aeda fixa un instant l’humaine et la laissa les distancer. Nathaël ralentit lui aussi son allure afin de rester au niveau de la draeneï.

- Entre autres, le sorcier lui a prédit quelque chose à propos de son sang qui deviendrait froid, murmura la mage.

- Pardon ?

- Nathaël, s’il y a une chose dans cet univers sur laquelle nous pouvons être d’accord c’est que lorsque quelqu’un meurt son sang ne devient pas froid, il s’assèche, n’est-ce pas ?

- En effet…

Malgré les précautions de ses compagnons, Asnath entendait parfaitement leur conversation mais n’y prêtait aucune attention. Un autre point de la prédiction du troll la dérangeait, il s’agissait de la notion de destin qui semblait en être le fil conducteur. Le sorcier prétendait que, si elle acceptait quelque chose qu’elle semblait se cacher, son chemin serait tracé. Ses pensées revenaient ainsi toujours sur le miroir qui hantait ses cauchemars et sur ce qu’il reflétait sans qu’elle parvienne à le voir. Le jour où elle pourrait enfin observer le reflet, serait-elle condamnée à choisir une route, ou bien le choix aura-t-il déjà été fait sans possibilité de retour.

Lorsque le petit groupe arriva en vue de la maison que possédait Ellécnite, ils aperçurent tout de suite le bélier que Zoorz avait acheté lors de leur retour du nord qui paissait tranquillement, ses rennes le retenant à un arbre.

Ellécnite, Omundron et le nain étaient attablés à l’extérieur de la chaumière dont l’exiguïté ne permettait pas d’installer une table dédiée aux cartes et à la planification de leur départ. Asnath rejoignit directement son frère qui remarqua immédiatement l’humeur de la prêtresse et passa un bras autour de ses épaules.

- Content d’te r’voir, gamine, la salua le nain en levant le nez de la carte qu’il détaillait.

- De même Zoorz, répondit l’humaine en se déridant, le départ est-il pour bientôt ?

- Si vous acceptez c’que j’suis en train d’proposer, nous partons dans trois jours.

Asnath entendit dans son dos le discret soupir de soulagement de Nathaël. Le paladin supportait de moins en moins bien le fait de devoir sortir à visage caché et de rester cloîtré dans la maison toute la journée afin de ne pas être repéré.

- Je vous explique ce que nous sommes en train de planifier ? proposa Ellécnite qui était assise sur la table afin de dominer les documents qui s’y trouvaient.

Les nouveaux-venus allèrent chercher des chaises et s’installèrent afin d’écouter la démoniste.

- Donc, commença-t-elle en déroulant la carte de Noem’Aeda, je pense que je ne surprendrai personne en vous annonçant que notre prochaine destination est le Norfendre. Maintenant, il nous fallait une sorte d’escorte ou tout du moins un moyen d’éviter de nous faire écharper une fois le pied posé là-bas.

- Nous avons réfléchi à l’endroit où les morts-vivants pourraient accoster afin de rentrer à la Couronne de Glace au plus vite, expliqua alors Omundron, les régions de la Toundra Boréenne et du Fjord Hurlant sont aux mains de la Horde et de l’Alliance depuis trop longtemps pour qu’ils puissent espérer en atteindre les côtes discrètement. Le nord de la Couronne de Glace étant occupé par les soldats écarlates ou la Croisade d’Argent, il ne leur reste plus que la Désolation des Dragons.

- La proximité de la nécropole de Naxxramas leur permettra d’être rapidement à l’abri de toute tentative pour reprendre les reliques, continua la gnome en agrandissant la région sur la carte et en y montrant la position de la nécropole.

- Faut donc qu’vous ailliez là-bas au plus vite, si possible avant qu’les bouffeurs de chair n’atteignent la ziggourat. L’problème c’est qu’ni l’Alliance ni la Horde ont de point d’accostage dans c’te zone. Va donc falloir qu’on débarque dans l’Fjord, à Valgarde. D’là, on prendra la voie des airs pour r’joindre l’Donjon d’la Garde de l’Ouest où nous attendra un convoi.

- Ne risquons-nous pas de perdre du temps en faisant ainsi un détour ? s’enquit Noem’Aeda.

- En réalité non, répondit Ellécnite, l’océan au sud du Norfendre est sillonné par de nombreux navires de guerre. Les morts-vivants mettrons donc plus de temps à se faufiler discrètement jusqu’au rivage, suffisamment pour que nous puissions les rejoindre.

- Zoorz, pourquoi as-tu dit « vous » et pas « nous » ? demanda soudain Asnath en quittant la carte des yeux pour regarder le guerrier.

Ce dernier eut l’air mal à l’aise et se détourna un instant de l’humaine. Il joua distraitement avec une des tresses de sa barbe sombre avant de reporter son regard sur la jeune femme.

- Gamine, j’vous accompagnerais si j’avais une dizaine d’hivers de moins dans les pattes. J’ai autant envie qu’vous d’pas voir les R’liques tomber aux mains du Roi Liche… mais j’ai quelque chose qu’vous avez pas et qui rentre en compte. J’ai une famille qui attend mon r’tour à chaque fois que j’pars. J’pense pas m’tromper en disant qu’pas beaucoup d’ent’ vous r’viendront. J’peux pas m’permettre d’partir avec vous.

- Alors, jusqu’où nous accompagneras-tu ? questionna Noem’Aeda.

- L’convoi qui nous attendra au donjon est destiné au ravitaillement des troupes au Tournoi d’Argent. On s’séparera quand nos chemins divergeront.

Le nain se tourna alors vers Asnath qui n’avait pas dit un mot.

- M’en veux pas gamine, tu sais qu’je l’ferais si y avait qu’moi.

- Je ne peux t’en vouloir d’avoir des gens qui t’aiment et à qui tu souhaites épargner la souffrance de te savoir disparu, Zoorz, répondit Asnath d’un ton qui se voulait réconfortant, tu nous as déjà suivi dans trop de projets risqués.

Nathaël s’approcha alors de la carte et l’observa un instant d’un air pensif.

- Il est possible que nous n’arrivions pas à temps. Une fois débarqués, les morts-vivants n’auraient que quelques jours de marche devant eux pour rejoindre Naxxramas.

- Nous pensons qu’ils n’y resteront pas, expliqua Ellécnite.

- La liche pourrait-elle les téléporter directement à la Citadelle ?

- Non, déclara Noem’Aeda qui était la plus à même de répondre, Kel’Thuzad fut certes un très grand mage et désormais une créature puissante, mais l’énergie dégagée par la Rune et le Diadème serait capable de rendre instable un portail créé par un dragon bleu. Ils ne prendront pas le risque de perdre les Reliques dans un flux de téléportation.

- Il nous faut donc anticiper leur parcours, répliqua Ellécnite.

Ce fut Omundron qui se pencha alors sur la carte de Noem’Aeda. Il suivit pointa de son doigt les différents passages qui menaient au glacier.

- Pour atteindre la Couronne de Glace, peu de choix s’offrent à eux, expliqua le druide, autrefois ils seraient passés par Angrathar, mais depuis la bataille où la Reine Dragon est intervenue, cette terre leur est interdite. Dès lors, il leur serait plus aisé d’emprunter les souterrains nérubiens comme l’avait fait Arthas pour rejoindre le glacier. Mais ces passages ne sont plus aussi sûrs maintenant que les nérubi insoumis au Roi Liche se sont alliés à nos forces pour reconquérir leur territoire.

L’elfe pointa plus au nord et poursuivit son énumération.

- La muraille qui surplombe la source du Courant Stagnant appartient certes toujours du Fléau mais est bien trop proche de Dalaran pour espérer passer avec deux objets aussi puissants que les Reliques sans être repéré. Je ne vois donc qu’une solution pour eux.

Le doigt d’Omundron s’arrêta sur la région qui jouxtait la Couronne de Glace par l’est.

- Traverser rapidement la Forêt du Chant de Cristal vers le nord. Les Pics Foudroyés sont la demeure des Val’kyrs. Ils pourront dès lors passer rapidement jusqu’au à la Couronne de Glace en passant par les montagnes. Une fois sur leurs terres, ils continueront sans doute par la voie terrestre pour rejoindre la Citadelle, les wyrms ne pourraient pas les protéger contre tout ce qui vole désormais dans le ciel du Norfendre.

Personne ne dit mot pendant un moment, chacun contemplant la carte et analysant les observations d’Omundron. Asnath ne connaissait pas suffisamment le continent gelé pour juger des affirmations de son frère, aussi se contenta-t-elle de vérifier que celui-ci n’avait pas oublié de passage plus rapide qu’il serait possible d’emprunter.

- Nous avons tout intérêt à les intercepter dans la Désolation des Dragons, déclara Nathaël en brisant le silence.

- Cependant, répliqua Ellécnite, au cas où nous arriverions trop tard, nous pourrons toujours les suivre à la trace grâce à l’artéfact de Noem’Aeda.

- Et bien… intervint Noem’Aeda d’un ton gêné, il est possible que, dans la course-poursuite à Stratholme, cet objet ait été endommagé de manière irréversible.

- Dans ce cas il nous restera la solution traditionnelle, poursuivit Nathaël, nous les suivrons à la trace.

- Tout le monde est donc d’accord pour agir comme nous venons de l’expliquer, demanda la démoniste.

Tour à tour, chacun autour de la table acquiesça. Alors que la conversation se poursuivait sur ce qu’il était nécessaire d’emmener avec eux, Asnath vit Omundron s’isoler. Le druide remarqua immédiatement que sa sœur lui avait emboîté le pas et s’arrêta.

- Tu t’inquiètes toujours pour moi, n’est-ce pas ?

- Je remarque surtout que tu ne cautionnes pas ce voyage autant que tu le prétends.

- En réalité, c’est ta participation à cette expédition que je ne cautionne pas, Asnath, répliqua l’elfe de la nuit, tu n’as aucune idée de ce à quoi tu t’exposes !

- Mais je sais parfaitement ce à quoi Azeroth s’expose si personne n’agit.

- Ce n’est pas ta présence dans la balance qui aura une quelconque influence !

- Qu’est-ce que tu en sais ? rétorqua la prêtresse d’une voix glaciale.

Le ton véhément de la jeune femme surpris Omundron qui l’observa un instant sans rien dire.

- Je n’ai rien à perdre à y aller, reprit Asnath en tentant de se calmer, j’ai changé Omundron, plus que tu ne peux l’imaginer. Je ne suis plus la petite humaine perdue au milieu des elfes.

- Qui es-tu alors désormais ? demanda le druide calmement.

La prêtresse fut incapable de répondre tant la question la prenait au dépourvu. Pourtant, n’était-ce pas elle qui venait d’affirmer qu’elle avait changé. Elle n’était plus la même, elle le savait, mais qui était-elle à présent. L’angoisse la tenaillait tandis que la jeune femme cherchait ce qu’elle était devenue, se cherchait, et comprenait qu’elle n’avait aucune réponse.

- Je suis… commença-t-elle, mais elle se ravisa, je ne sais pas, Omundron… La seule chose que je sache c’est que je n’ai rien à perdre à vous accompagner.

- C’est faux… tu ne comprends pas la différence entre n’avoir rien et avoir déjà tout perdu. Cette différence qu’il y a entre toi et moi. Ton avenir est plein de possibles que tu refuses d’imaginer.

Le druide la saisit par les épaules, ses puissantes mains se refermant comme des étaux qui l’immobilisaient.

- Tu es jeune… il est tant de choses que tu pourrais avoir si tu restais ici. Tu pourrais vivre, connaître l’amour, avoir des enfants…

- Trembler pour eux en attendant que le Fléau vienne me les prendre, vivre dans la peur et pleurer ceux que j’aurais laissé partir dans le passé.

- Tu as une famille que tu pourrais retrouver ! s’emporta Omundron.

- Qu’elle aille en enfer, répliqua la jeune femme en se dégageant de l’emprise de son frère, ma famille n’est rien de plus qu’une ombre qui hante mon passé comme mon avenir ! Je compte aller en Norfendre, Omundron ! Je regarderai dans le miroir et pas même toi ne pourra m’en empêcher !

Les yeux luminescents du frère plongèrent dans ceux émeraude de la sœur, la scrutant pour percer son cœur à jour. La jeune femme se déroba et s’apprêta à rejoindre ses autres compagnons, mettant fin à la conversation. La main d’Omundron se posa sur son épaule pour la retenir.

- Puisque rien ne pourra te faire changer d’avis, je souhaite qu’au moins tu acceptes un cadeau, dit doucement le druide en la tournant vers lui.

Dans sa main ouverte se trouvait une dague finement ouvragée et dont l’acier était gravé d’un motif représentant une branche d’arbre en fleur.

- Ceci, est pour que tu puisses te protéger, si je ne suis plus là.

L’elfe s’agenouilla face à elle afin d’être en contrebas de la jeune humaine.

- Tu as changé en effet Asnath, je ne peux me le cacher. Cependant, tâche de ne pas te perdre. Tu n’es pas obligée d’accepter ce que tu verras dans le miroir. Il est toujours possible de faire demi-tour.

Les dernières paroles de son frère résonnaient toujours dans la tête d’Asnath alors qu’elle revenait vers la chaumière. C’est en suivant du bout de son doigt le tracé de la cicatrice laissée dans sa paume par la lame de la dague d’Izdar qu’elle finit par murmurer.

- Si seulement tu pouvais avoir raison.